Pierre Reverdy (1889-1960)
"Je vis d'abord, j'écris parfois ensuite, mais il m'arrive de sentir davantage ce que veut dire vivre en écrivant."
"J'ai fait un pacte avec le silence." (pendant l'Occupation)
Pierre Reverdy venait d'une famille de sculpteurs, de tailleurs de pierre d'église. Toute sa vie en sera marquée par un sentiment de religiosité profonde. Il poursuivit ses études à Toulouse et à Narbonne.
Il arrive à Paris en octobre 1910. À Montmartre, au célèbre Bateau-Lavoir, il rencontre ses premiers amis : Guillaume Apollinaire, Max Jacob, Louis Aragon, André Breton, Philippe Soupault et Tristan Tzara.
Pendant seize ans il vit pour créer des livres. Ses compagnons sont Pablo Picasso, Georges Braque, Henri Matisse. Toutes ces années sont liées de près ou de loin à l'essor du surréalisme, dont il est l'un des inspirateurs. Sa conception de l'image poétique a en particulier une grande influence sur le jeune Breton et sa théorisation du mouvement surréaliste.
Le 15 mars 1917 paraît le premier numéro de sa revue Nord-Sud à laquelle collaborent les poètes du dadaïsme puis du surréalisme. Le titre de la revue lui est venu de nom de la compagnie de métro qui avait ouvert en 1910 la ligne reliant Montmartre à Montparnasse. Il signifiait ainsi sa volonté de « réunir ces deux foyers de la création ». Joan Miró a représenté la revue dans un tableau qui porte son nom : Nord-Sud en hommage au poète et aux artistes qu'il admirait.
Au début des années 20, il fut l'amant de Coco Chanel à qui il dédicaça de nombreux poèmes. En 1926, à l'âge de 37 ans, annonçant que « libre penseur, [il] choisi[t] librement Dieu », il se retire dans une réclusion méditative près de l'abbaye bénédictine de Solesmes où il demeure - jusqu'à sa mort, à 71 ans en 1960. Là sont nés ses plus beaux recueils, tels Sources du vent, Ferraille, Le Chant des morts.
Dans la dernière année de sa vie, il écrit Sable mouvant, testament poétique dans lequel il dépouille ses vers et où la voix reste en suspens (son dernier vers ne comporte pas de point final). Il veut qu'il ne demeure de lui qu'un portrait symbolique, dépouillé des détails de l'existence, et ramené à l'essentiel.
René Char a dit de lui que c'était « un poète sans fouet ni miroir ».
"On ne peut plus
dormir tranquille
quand on a une fois
ouvert les yeux..."
Je n'en aurai jamais fini avec toi, Pierre Reverdy
Avec tes mots que je relis sans cesse
à mesure qu'ils s'effondrent
et qu'ils glissent hors du monde...
Ta vie à Solesme,
me rappelle l'enfance
quand les moines m'offrirent le pain et le cidre,
quand j'entendis dans la nef
résonner la louange
puis rien
et que je compris ce qu'était le silence
Je n'en aurais jamais fini avec toi, Pierre Reverdy,
ni avec celui qui te faisait signe et
que je ne connais pas plus que je ne te connais
et que je ne me connais moi-même...
A cause de qui (mais était-ce à cause de lui ?)
tu es resté trente-quatre ans
dans ce petit village sans éclat et sans joie,
"Un trou noir ou le vent se rue..."
lové dans la solitude
avec pour seuls amis
tes humbles outils
de poète
rescapés du silence,
Avec des mots,
simples comme les cailloux de la Rougeanne,
la rivière de ton enfance,
en terre d'exil
dans la pauvreté essentielle
toi, l'enfant du soleil...
"Toutes les raisons de ne plus croire à rien
les mots se sont perdus tout le long du chemin
Il n'y a plus rien à dire
le vent est arrivé
Le monde se retire
L'autre côté...."
"Un homme, dès qu'il marche, est un passant.
Or il marche. Le vent le pousse.
Puis il meurt, lacéré."
R.G.
"Le caractère évident de la poésie est d'être toujours semblable et de ne se répéter jamais. La monotonie du chant exige des variations incessantes : la surprise jaillit d'un domaine connu comme une source au milieu du désert. Dans ce lieu de la voix, ce qui est nouveau ne rend pas périssable ni n'abolit ce qui est ancien.
Le poète est bien l'homme le plus englué de tous ceux qui peuvent être sur la terre, dans la pâte épaisse de la vie...
... Vivre quand même, bien qu'on n'ait pu s'insérer dans la vie - que l'on sentait tellement plus merveilleuse que les autres, voilà la dureté de l'ouvrage, l'essentielle pauvreté qui fut dite, presque au seuil de l’œuvre, inoubliablement :
"En ce temps-là le char-
bon était devenu aussi
précieux et rare que des
pépites d'or et j'écrivais
dans un grenier où la neige, en tombant par
les fentes du toit, deve-
nait bleue."
Extrait de la préface à Plupart du Temps (1915-1922) d'Hubert Juin
Toujours là
J'ai besoin de ne plus me voir et d'oublier
De parler à des gens que je ne connais pas
de crier pour être entendu
Pour rien tout seul
Je connais tout le monde et chacun de vos pas
Je voudrais raconter et personne n'écoute
Les têtes et les yeux se détournent de moi
Vers la nuit
Ma tête est une boule pleine et lourde
Qui roule sur la terre avec un peu de bruit
Loin
Rien derrière moi et rien devant
Dans le vide où je descends
Quelques vifs courants d'air
Vont autour de moi
Cruels et froids
Ce sont des portes mal fermées
Sur des souvenirs encore inoubliés
Le monde comme une pendule s'est arrêté
Les gens sont suspendus pour l'éternité
Un aviateur descend par un fil comme une araignée
Tout le monde danse allégé
Entre ciel et terre
Mais un rayon de lumière est venu
De la lampe que tu as oublié d'éteindre
Sur le palier
Ah ce n'est pas fini
L'oubli n'est pas complet
Et j'ai encore besoin d'apprendre à me connaître
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