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"Batteuses d'anges, de tapis,
Prenez garde à vos alliances !
Car les anges sans surveillance
Sont pis encore que des pies."

Jean Cocteau (les "Alliances")

 

 

               "La liberté, c'est la faculté de choisir ses contraintes" proclamait Jean-Louis Barrault, tandis que pour Alfred de Vigny, le renoncement se doit de rester digne :"Être vaincu parfois. Être soumis jamais ", nous certifiait l'auteur dramatique de "Quitte pour la peur"!

               Nous partageons ô combien, ce duo de valeureuses morales, en l'appliquant incontinent à notre intrigue vénale de feu de paille avec un représentant du diable, mésalliance non consommée, Dieu soit loué, nous incitant à déclarer que la prostitution de l'intellect se livrant à de sordides productions flirtant avec la pornographie, fruits d'une sorte d'immonde "traite négrière" par les mots des "Temps modernes", ne saurait en rien être qualifiée de littéraire, mais bien de plume putassière monnayable, si vous me permettez l'emploi un brin familier de cette expression !

               N'est-il pas fondamental de nommer un chat, un chat, et les "romans de gare", dont nous nous gardons de nommer les pseudos labels, auxquels nous avons, il est vrai, songé à nous aliéner, telle une "putain irrespectueuse"… l'espace d'un égarement durant une fraction du quart de la moitié d'une seconde (sic), ne peuvent en aucun cas prétendre contribuer à nous faire accéder à la voie de la publication en empruntant la grande porte, du moins, telle que nous concevons l'édition…

              Quant à notre conscience doublée de dignité, nous nous apprêtions à les fouler toutes deux, en vertu du fait, que, rares sont les circonstances de la destinée, où nous pouvons nous adonner à "égaler nos pensées…"[1], concédons-le !

              Car en concordance de tout acte humain, l'écriture, mère solitaire d'un "enfant unique", la lecture, ne signifie pas grand-chose, isolément. À notre sens, c'est la matière plus ou moins consistante de ces "Nourritures spirituelles" composant son menu qui en constitue le prix, et l'on peut choisir au moment de se sustenter, de "dévorer force moutons", tel le fameux loup de la fable[2], de se goinfrer en glouton de substances roboratives, comme à l'inverse, l'on peut déguster des mets les plus fins hautement nutritifs, autant délectables à l'endroit des papilles, qu'assimilables par nos organismes !

             La métaphore vaut également concernant la jouissance qu'est censée nous procurer "Fêtes galantes", "Embarquements pour Cythère" ainsi que toutes autres rencontres dévolues à décliner le savoir-faire, la maestria de la divinité Éros, l'antithèse de Thanatos, héros cupidonnesque nous incitant à célébrer maints "frottements d'épidermes"… Or, ou le repas concocté, servi, se révèle goûteux, festif, souverain, ou au contraire, ce dernier sait aussi faire montre de fadeur, étant primaire, mesquin, bref, en un mot, pitoyable, nous laissant insatisfait, sur une sensation d'incomplétude infinie !

            "Hâtons-nous de succomber à la tentation avant qu'elle ne s'éloigne" nous recommande la loi d'Épicure…Volontiers, mais pas à n'importe laquelle, de grâce !!!

            Tant qu'aux "sages" qui tentent d'offrir de précieux conseils en préconisant, ni plus, ni moins, de poursuivre dans cette voie de la pure corruption, comment ne pas être touchée de leur fervente reconnaissance et de leur soutien méritoire à des écrits, que, selon toute vraisemblance, ils sont les premiers… à  mépriser, voire profaner, en dégradant la "substantifique moelle" de ces messages, de leur style ciselé à la manière d'un artisan d'art, et non, de "descriptions automatiques" conditionnées, dues à une "frèrie" de "marionnettes desséchées" pour détourner un duo de locutions satistes !

             Et puis, soyons persuadés que "le manque d'appréciation est une trahison à l'âme de l'artiste"[3], une authentique et offensante calamité, si ce n'est la négation totale infligée à son inventivité ! N'en déplaise aux "Fâcheux" pétris de certitudes bassement prosaïques, l'acte de création n'implique aucunement le gaspillage d'un potentiel en perpétuelle germination, de flammes qu'il faut alimenter en continu ! Ainsi, essaimer à tout vent, mélangeant sans distinction, le bon grain à l'ivraie, conduit-il à une construction de qualité ?

            Quel qu'en puisse être le vœu originel, la volonté légitime, reconnaissons, qu'il n'est pas donné à tout le monde de faire de son existence, une "œuvre d'art", conditions sociales et de vie, oblige, soit ! Mais est-ce faire preuve de trop d'exigences que de tenter de s'en approcher, en vivant, selon le précepte salutaire d'un "sage"[4], le plus poétiquement possible ?


"la poésie

 c’est de la couleur

 dans la matière

 grise des mots "[5]

 

nous atteste une plume laconique. Palette de tonalités polychromes, dont il nous faut user pour enluminer les heures du calendrier ponctuant notre quotidien "d'hominiens", afin de nous alléger de bien des maux…

            Allez, dussions-nous choir, jusqu'à nous délester de notre enveloppe corporelle, de temps à autre encombrante, nous ne pourrions nous résoudre, en incurable utopiste patentée assumée, à arborer "Masques et bergamasques" afin de nous contrefaire, à glisser vers l'abîme du simulacre en perdant une intégrité, une vision d'un idéal forgées au prix de sacrifices, d'un parcours semé d'épreuves enrichissantes et tout ceci en faveur de quel Dieu, je vous prie, celui du "Veau d'or" loué par le chant méphistophélique ?

            Si, en ce bas monde, la seule valeur refuge à laquelle il nous faut souscrire est celle relative à Harpagon, alors, en effet, nos civilisations dénaturées, gâtées par ce fléau, sont à défaut, bien mal en point, pis, irrévocablement perdues !

          "Quand le dernier arbre sera abattu, la dernière rivière empoisonnée, le dernier poisson capturé, alors seulement vous vous apercevrez que l'argent ne se mange pas" ! s'efforce de nous avertir une Prédiction indienne.

           Civilisation occidentale "Édifiée par l'argent, épanouie par l'argent, et morte par l'argent. Décrépitude de l'argent ! L'argent, toujours l'argent, générateur de prostitution et de mort"[6] contre laquelle s'insurgeait une voix lyrique réaliste, s'épanchant davantage en poursuivant son credo de révolte inauguré, car à quoi bon nous leurrer :

          "Notre siècle est tragique par lui-même; aussi refusons-nous de le prendre au tragique. Le cataclysme s'est abattu sur nous. Habitués déjà aux ruines, nous commençons à remettre sur pied de nouveaux petits logements, de nouveaux petits espoirs. Si nous ne pouvons pas nous frayer un chemin parmi les obstacles, nous les contournons ; ou nous passons par-dessus. Il faut bien vivre, malgré que tant de cieux se soient écroulés. Après nous être pathétiquement tordu les mains,"[7] que nous reste- t'il d'autre à envisager, fors de poursuivre notre route, en repoussant un alanguissement malsain à nous complaire sur nos malheurs, en principe du fait, que quoi qu'il advienne, nous sommes "Condamnés à la mort, condamnés à la vie, voilà deux certitudes", revendiquait un Romantique, au cœur de son "Journal d'un poète"[8] !

          Et la deuxième valeur phare, envisagez-vous délibérément de l'occulter, nous interrogerez-vous fort à propos ? Que nenni ! C'est sans compter une référence pervertissant les mentalités avec autant de vigueur et de rage que celle précédemment citée, son égale en recherche forcenée de règne existentialiste : la notoriété.

         Pourtant,"L'estime vaut mieux que la célébrité, la considération vaut mieux que la renommée et l'honneur vaut mieux que la gloire", a tenté d'argumenter en vain, un "Homme sensible" du siècle des Lumières, léguant à la postérité ce truisme intemporel, sans que nous en retirions un enseignement profitable…[9]

         Ah, pour accéder à la "gloire", fut-elle éphémère, pour en mendier l'ombre d'une infime parcelle, que ne serait-on en mesure d'accomplir, sinon d'assouvir ses pires instincts ! Jusqu'à renier père et mère et autre parenté, amis, foi et engagements ? Jusqu'à commettre une action funeste, voire criminelle ? Les "pauvres d'esprit ou faibles de cœur"[10] du poète persan Omar Khayyam, n'en sont-ils pas une ardente illustration ?

         Et puisque, confessons-le, nous sommes tissés d'ombre et de lumière, la nature humaine étant indéniablement "fragile", perpétuellement en proie à répondre à un appétit aveugle, insatiable, plus ou moins néfaste, pourquoi s'étonner qu'une majorité d'entre-nous, soit subjuguée par l'appel séducteur, délétère, de la réussite, cette mascarade qu'un certain philosophe du siècle dernier nommait :"l'amollissement moral né de la déesse-chienne Succès ?[11] "

           Embrassant cette conviction, le poète anglais[12] libertaire du "Phénix" renaissant de ses cendres, ayant soif de reviviscence, ivre de "Clarté de vie"[13], ne pouvait que s'en émouvoir, en promulguant, à travers son héroïne fétiche, l'émancipation tant désirée :

         "Et c'était la réussite qu'ils voulaient. Ils voulaient […] faire un bel étalage; tout l'étalage qu'un homme peut faire de soi-même, pour capturer quelque temps la faveur du public.

          C'était curieux, cette prostitution à la déesse-chienne. Pour Constance, depuis qu'elle y était devenue étrangère, et qu'elle avait cessé d'en ressentir le frisson, ce n'était plus que néant. Même cette prostitution à la déesse-chienne, même si les hommes se prostituaient à elle d'innombrables fois, même cela n'était que néant."

           Ce même protagoniste aux contours féminins s'efforçant de s'affranchir d'un carcan plus que rigide institué par les conventions sclérosantes d'une société stéréotypée ("la pompe et l'étiquette font des hommes des machines", professait Lessing…) fit montre de la plus grande ténacité, de ressources insoupçonnées, afin de s'en évader, et ce, en dépit des tourments endurés, adoptant inconsciemment, la devise suivante: "le vent se lève, il faut tenter de vivre."[14]

           Faire front devant l'adversité, entrer en résistance mentale pour conserver sa part de "merveilleux", pour ne pas ployer, ni encore moins subir le sort commun réservé à ceux qui ont été éduqués, pour ne pas dire endoctrinés à se satisfaire de peu, c'est à dire, d'un parcours monotone, végétatif, résignés, les malheureux, à courber l'échine devant le poids du fardeau, voilà une ambition digne d'intérêt, repoussant jusqu'aux dernières limites, un cheminement préfabriqué, vide de sens et d'harmonie, une existence automatique sous dépendance de normes imposées, où l'humanité embrigadée évolue dans son ensemble au cœur de "Villes tentaculaires" ou de "Campagnes hallucinées" décrites par un chantre "prophète"[15], humaine condition composée de membres dotés de profil similaire, dénués, hélas, de singularité, de la moindre spiritualité personnelle, oubliant la fraternité profonde originelle devant relier les "Hommes de bonne volonté" chers à Jules Romains !

          "Les gens capables d’union intime avec les autres sont les seuls qui semblent aussi solitaires dans l’univers. Les autres sont un peu gluants ; ils collent à la masse."[16]

           Depuis l'essor de l'ère industrielle, où nos ainés ont cru bon de se détacher des racines de notre Mère universelle à tous, Gaia, nous nous sommes forgés, sans conteste, "une dure carapace d'utilité pratique", animée "au-dedans d'une pulpe molle", figure assujettie à devenir "presque un animal, un de ces extraordinaires animaux, crabes ou langoustes, du monde moderne, industriel et financier, invertébrés de l'ordre des crustacés, avec des carapaces d'acier, comme des machines, et des intérieurs de pulpe molle"[17] résume, non sans humour, un mystique de l'Amour…[18]

            Devons-nous nous ranger a fortiori, devant le constat que notre époque banalise, vulgarise l'émotion en l'exprimant n'importe comment, à la vue et au su de tous voyeur entiché d'exhibitionnisme renforcé par les médias et les nouvelles technologies soit disant expertes en communication ?

            Au rythme du creux et du factice que nous empruntons et que nous imposons, "sans autre forme de procès" à Natura et à ses enfants, la Faune et la Flore, en dispersant, en pillant allégrement sa "Corne d'abondance", nul doute qu'il nous faut désormais nous préparer à une partance prochaine inéluctable ! Cela suffira t'il à endiguer cette course vers le précipice, incluant la perte d'identité, de modèles vertueux et valeureux mérites en déliquescence ? Le remède ne serait-il pas d'entendre la rhétorique d'un penseur précurseur, ayant eu la révélation de notre inexorable déclin, de la décadence de notre démocratie :

           "Si on pouvait seulement leur dire que vivre et dépenser ne sont pas la même chose! Mais cela ne sert à rien. Si seulement on les avait élevés à sentir, au lieu de gagner et de dépenser, ils se tireraient très bien d'affaire. […]

            Voilà le seul moyen de résoudre le problème industriel: enseigner au peuple à vivre, et à vivre en beauté, sans avoir besoin de dépenser de l'argent. […]

           Je ne crois pas à ce monde-ci, ni à l'argent, ni à l'avancement, ni à l'avenir de notre civilisation. Si l'humanité a un avenir quelconque, il devra se produire un changement radical par rapport à l'état des choses actuel. […]

            Envisager l'extermination de l'espèce humaine et la longue pause qui précédera l'émergence d'une autre espèce, rien de tel pour vous calmer. Car si l'on continue ainsi, si tous, intellectuels, artistes, politiciens, industriels et ouvriers s'acharnent à détruire tout sentiment humain, toute étincelle d'intuition, tout instinct de ce qui est sain ; si, comme c'est le cas, cela continue en progression algébrique, alors adieu l'espèce humaine "! [19]

            Mais de grâce, ne nous méprenons pas sur le potentiel de nos facultés…mensongères, en sublimant notre quête humaniste ! Nous demeurons, plus que jamais, de pauvres créatures vulnérables, friandes du matérialisme trivial ambiant, indéniablement sensibles, pour ne pas dire prisonnières de toute forme de pouvoir, sacrifiant essentiellement à l'adoration quasi fanatique de deux cultes, celui côté en bourse, et celui du dieu Amour, ou plutôt de la déité phallique… avilie, phallos que nous galvaudons allégrement en en faisant un instrument obscène, relégué à la simple mécanique, marchandise "commercialisable", à outrance, "chair fraiche" ou moins fraiche, ma foi, n'ayant parfois, point d'autre alternative que de négocier "ses charmes" afin de subsister, selon les règles capitalistes du roi financier, régisseur de notre globe terrestre !

            Pourtant, l'argent roi, ne devrait il pas représenter qu'un moyen d'accéder à ce que nous chérissons, afin de parvenir à l'épanouissement de l'être, pour notre plaisir d'hédonistes à l'écoute de Dame Nature, des Arts et de la solidarité entre les peuples, et non un gage de finalité en soi ?

            Depuis la "Nuit des temps", il nous faut constamment lutter afin de récuser notre sombre inclination à combler une avidité effrénée décrite dans la langue du poète latin Virgile :

            "Auri sacra fames", cette maudite faim de l'or…

             Y parviendrons-nous jamais ?

             Seule, la providence aidée en cela par une métamorphose de notre comportement exécrable, détient la clé de la réussite !

             Advienne que pourra !!!

             Néanmoins, ne pouvant nous résoudre à nous quitter environnés d'une atmosphère où prévaudrait exclusivement une "humeur inquiète", empreinte de "l'Ombre des Jours"[20], nous achèverons cet entretien par une note lumineuse porteuse d'espérance signée d'un sensitif éminemment sensuel, "Pèlerin sauvage"[21] vibrant d'élans dionysiaques rejaillissant sur sa lyre, faisant l'éloge de sa quête initiatique, la volupté ("Volupté, soit toujours ma reine"[22] aurait-il pu implorer…) qui s'ingénia à traduire l'instinct vital le traversant et que l'homme se doit de privilégier, plutôt que donner crédit plus qu'il n'en faut, aux semences germant du terreau sophistiqué d'un entendement essentiellement cérébral.

             Ainsi, faisant fi des embûches que la Providence lui décerna, il su alimenter son feu intérieur incandescent, ses "Noces de braise", exhortant ses contemporains à la jouissance de ce "Carpe diem" fugace, à en cueillir les instants précieux et subtils :

           "Malgré tout ce que la vie peut réserver, malgré les horreurs dont les hommes sont responsables, le monde est merveilleux, magique, un lieu digne de tous les émerveillements, totalement stupéfiant"[23],

            Oui, mais, voilà, pour mettre à profit ce testament, il nous revient d'ambitionner à élire une noble éthique,("L'honneur, c'est la conscience, mais la conscience exaltée. C'est le respect de soi-même et de la beauté de sa vie portée jusqu'à la plus pure élévation et jusqu'à la passion la plus ardente "témoigne un exalté de l'ère romantique[24]) nous remémorant sans cesse qu'il "faut d'abord avoir soif", soif d'adopter l'ascèse de Catherine de Sienne, en ne cherchant guère à diviser l'esprit de la matière, le "pur" de "l'impur", prônant l'alliance de la métaphysique et de la chair…, en corrélation étroite d'un illustre poète persan médiéval :

          

            "Quoi qu'en pensent beaucoup de rhéteurs hypocrites,

             Séparer corps et âmes est une absurdité.

             Moi je sais que l'ivresse à du moins ce mérite :

             C'est de nous révéler leur parfaite unité."

             

                                                   Omar Khayyam

("Ivresse et métaphysique", pièce issue du recueil "le Robaïyat" ou le Livre des Quatrains)

 

                                                                      Valériane d'Alizée



Conseil philosophique sur la conduite de la vie à adopter

ou

comment apprivoiser des forces antagonistes poussant

l'homme à l'auto destruction

 

 

              " Le printemps était venu. Dans la lumière verdâtre d'un soir d'avril le sifflotis des merles rendait témoignage de l'éternel triomphe de la vie. Il soufflait un petit vent mi-frais, mi-froid, et les anémones sortaient de partout au hasard, toutes grandes ouvertes, brillantes de vie printanière. Déjà les primevères en grand nombre montraient la tête ; un peu transies mais gorgées de vitalité, pleines de joie et, elles aussi largement ouvertes. Grandes ouvertes encore, avec leur feuilles vert foncé, les campanules s'étalaient comme un tapis de velours au pied des chênes ; sûres d'elles-mêmes et de leur puissance végétale. Les oiseaux chantaient, chantaient à tue-tête, et ils étaient la voix même de la vie. La forêt était un sanctuaire de vie. De la vie elle-même ! La vie ! C'était là tout ce qu'on pouvait avoir et à quoi l'on pouvait aspirer. Mais il y avait la volonté de l'homme et c'est elle qui le coupait de la vie. Seul de tous les êtres créés, l'être humain ne peut pas vivre.

              La vie est si douce et tranquille, et pourtant elle est hors de notre prise. Elle ne saurait être prise. Essayez de prendre possession d'elle, elle disparaît ; de l'empoigner, elle se confond en poussière ; de la maîtriser, et vous voyez votre propre image vous rire au nez avec le rictus d'un idiot.

             Qui veut la vie doit aller vers elle avec douceur ; comme on ferait s'il s'agissait de s'approcher d'un cerf, ou d'un faon blotti au pied d'un arbre. Un geste trop brusque, une trop volontaire et trop brusque affirmation de soi, et la vie n'est plus devant vous : il vous faut de nouveau partir à sa recherche. Et c'est avec douceur et légèreté, dans votre main comme dans votre démarche, c'est le cœur débordant mais exempt de tout égoïsme que vous devez vous approcher d'elle à nouveau, et trouver enfin le contact avec elle. Quant ce ne serait qu'une fleur, tout ce que vous agripperez violemment s'évanouira à jamais de votre vie. Abordez avec avidité et égoïsme un autre homme, et vous n'étreindrez qu'un démon hérissé d'épines qui vous laissera des blessures empoisonnées.

            Mais par la douceur, par le renoncement à toute affirmation de soi, par la plénitude de notre moi véritable et profond, nous pouvons nous rapprocher d'un autre humain et connaître ainsi le meilleur et le plus délicat de la vie : le contact. Contact des pieds sur le sol, contact des doigts sur un arbre, sur un être vivant. Contact des mains et des seins. Contact de tout ce corps et d'un autre corps ; mutuelle pénétration de l'amour passionné. Voilà la vie. Et c'est par le contact que nous vivons, tous, autant que nous sommes.

           Inutile de se battre contre la vie, vous ne pourriez être que vaincus. Certes, la volonté est curieusement efficace, mais les pommes qu'elle nous apporte, toutes dorées qu'elles soient, sont des fruits maudits[25]. Ce n'est plus qu'une âcre poussière, porteuse de folie. Combattez pour la vie, vous le pouvez ; combattez contre les cohortes innombrables et grises de ceux qui ne vivent pas : les rapaces et les dominateurs, les avides et les importants. D'un tel combat, il est plus d'un exemple ; et vous devez, vous aussi, vous battre contre les ennemis de la vie. Mais avec la vie elle-même, quand vous êtes en présence de la vie, montrez-vous très doux vis-à-vis d'elle, comme fait la fleur qui se présente à nous, à notre contact, nue et sans défense, et s'offre tout entière."

                        

                        David Herbert Lawrence

(Fragment de texte provenant du roman "Lady Chatterley et l'homme des bois"



                                                            "Au prolétaire"

                            

                          (Afin de faire écho à nos propos précédemment énoncés

                        voici  une pièce dans la veine idéologique de D.H.Lawrence)

   

 

                                      " Ô captif innocent qui ne sais pas chanter

                                       Écoute en travaillant Tandis que tu te tais

                                       Mêlés aux chocs d'outils les bruits élémentaires

                                       Marquent dans la nature un bon travail austère

                                       L'aquilon juste et pur ou la brise de mai

                                       De la mauvaise usine soufflent la fumée

                                       La terre par amour te nourrit les récoltes

                                       Et l'arbre de science où mûrit la révolte

                                       La mer et ses nénies dorlotent tes noyés

                                       Et le feu le vrai feu l'étoile émerveillée

                                       Brille pour toi la nuit comme un espoir tacite

                                       Enchantant jusqu'au jour les bleuités du site

                                       Où pour le pain quotidien peinent les gars

                                       D'ahans n'ayant qu'un son le grave l'oméga

 

                                       Ne coûte pas plus cher la clarté des étoiles

                                       Que ton sang et ta vie prolétaire et tes moelles

                                       Tu enfantes toujours de tes reins vigoureux

                                       Des fils qui sont des dieux calmes et malheureux

                                       Des douleurs de demain tes filles sont enceintes

                                       Et laides de travail tes femmes sont des saintes

                                       Honteuses de leurs mains vaines de leur chair nue

                                       Tes pucelles voudraient un doux luxe ingénu

                                       Qui vînt de mains gantées plus blanches que les leurs

                                       Et s'en vont tout en joie un soir à la mâle heure

                                       Or tu sais que c'est toi toi qui fis la beauté

                                       Qui nourris les humains des injustes cités

                                       Et tu songes parfois aux alcôves divines

                                       Quand tu es triste et las le jour au fond des mines

                                                  Guillaume Apollinaire (1880 - 1918) 

 



 



[1]  : Adaptation d'un axiome de Bossuet mis en exergue de l'introduction du "Livre de ma vie" de la poétesse Anna de Noailles, et dont le texte exact est : "Nous n'égalons pas nos pensées."

[2]  : En référence au poète baroque  Jean de La Fontaine auteur de la fable "le Loup et l'Agneau" (pièce X du Livre I)

[3] : Emprunt d'une devise de William Turner…

[4] :Allusion au sociologue et philosophe français, Edgar Morin ; se reporter à l'admirable entretien accordé au journal Le Monde, véritable plaidoyer contre l'élitisme en matière artistique intitulé ""Démocratiser la poésie" (http://www.lemonde.fr/idees/article/2011/07/08/democratiser-la-poesie)

 [5]  : Formule poétique de Louis Savary (Belgique, Extraits de Tant qu'à dire, éditions Les Presses Littéraires, 2011 )

 [6]  : Maxime relevée au sein du roman poétique de David Herbert Lawrence, "l'Amant de Lady Chatterley"…(traduction de F.Roger-Cornaz, éd. Folio classique, Gallimard)

[7]  : Toutes premières phrases du Ier chapitre De"Lady Chatterly et l'Homme des bois" de David Herbert Lawrence (seconde version de l'Amant de Lady Chatterly, traduit de l'Anglais par Jean Malignon, N.R.F. Gallimard) ; la troisième et dernière version est la suivante :"Nous vivons dans un âge essentiellement tragique ; aussi refusons-nous de le prendre au tragique. Le cataclysme est accompli ; nous commençons à bâtir de nouveaux petits habitats, à fonder de nouveaux petits espoirs. C'est un travail assez dur : il n'y a plus maintenant de route aisée vers l'avenir : nous tournons les obstacles ou nous grimpons péniblement par-dessus. Il faut bien que nous vivions, malgré la chute de tant de cieux.

 [8]  : Allusion à la personnalité d'Alfred de Vigny.

[9]  : Alias le poète moraliste, journaliste, Chamfort (Sébastien Roch, dit Nicolas de Chamfort) auteur des "Maximes et Pensées, Caractères et Anecdotes (1795),

[10] : Allusion à l'un des Quatrains composant le" Robaïyat " du poète persan mentionné, intitulé "l'Éloge des buveurs" :"Savoir apprécier le langage des roses/Le message du vin, n'est donné qu'aux buveurs/mais les pauvres d'esprits ou les faibles de cœur/Comment goûteraient-ils un tel ordre de choses ?" (éd. du Cherche Midi, adap. de Jean Rullier)

[11] : Formule de William James, philosophe américain, frère de l'écrivain Henry James, reprise par D.H.Lawrence dans son fameux roman "l'Amant de Lady Chatterly."

[12] :En référence à David Herbert Lawrence…se reporter au superbe poème "Phénix" :"Es-tu prêt à être effacé/nul, anéanti/ à n'être rien/Es-tu prêt à n'être rien/Perdu dans l'oubli/Sinon, jamais vraiment tu ne changeras/Le phénix ne retrouve sa jeunesse/que s'il est brûlé, brûlé vif, jusqu'à se faire/chaude et floconneuse cendre/Alors le frêle remuement d'un frêle être nouveau dans le nid/au duvet léger comme cendre qui vole/montre qu'il a retrouvé pareil à l'aigle sa jeunesse/ Immortel oiseau"(Pièce provenant du recueil Derniers Poèmes, 1931, traduction de Roger Munier, Cahier de l'Herne, 1988)

 [13]  : Emprunt à un titre de recueil poétique de Francis Vielé-Griffin…

[14]  : Citation extraite du "Cimetière marin" de Paul Valéry…

[15]  : Évocation d'une figure poétique florissante, riche de "Multiples splendeurs", Émile Verhaeren.

[16]  : Op. cit

[17]  : Citations provenant du même ouvrage précédemment référencé.

[18]  : Allusion à la figure littéraire protéiforme, David Herbert Lawrence.

[19] : Op. cit

[20]  : Formule d'Anna de Noailles empruntée à son deuxième recueil poétique publié.

[21]  : Définition que l'écrivain anglais, David Herbert Lawrence, s'était lui-même attribué. Et si aujourd'hui, ce dernier est considéré comme un auteur visionnaire, il fut taxé à sa disparition d'"amoral"(T.S. Eliot) de "pornographe"… demeurant longtemps sulfureux (ses ouvrages subirent une censure, et mirent un certain temps avant que les éditions cessent d'être expurgées) puis réhabilité par Aldous Huxley et enfin par la critique. Son œuvre littéraire polymorphe, est d'une veine flamboyante, n'appelant pas la tiédeur, truffée d'une puissance cosmique empreinte d'ardeur, qui constitue toute la magie de sa stylistique d'écriture où le raffinement côtoie un langage presque populaire assumé (patois savoureux).

[22]  : Vers extrait du sonnet de Charles Baudelaire (recueil "les fleurs du Mal")"La Prière d'un Païen" :"Ah ! ne ralentis pas tes flammes/Réchauffe mon cœur engourdi/Volupté, torture des âmes/Diva ! supplicem exaudi /Déesse dans l'air répandue/Flamme dans notre souterrain/Exauce une âme morfondue/Qui te consacre un chant d'airain/Volupté, sois toujours ma reine/Prends le masque d'une sirène/Faite de chair et de velours/Ou verse-moi tes sommeils lourds /Dans le vin informe et mystique/Volupté, fantôme élastique !"

 [23] : Citation issue du roman "La fille perdue" de David Herbert Lawrence

[24]  : Allusion à Alfred de Vigny, ("Servitude et grandeur militaire")

25] Littéralement : pommes de Sodome. Allusion peu familière, en général, au lecteur français contemporain.


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Commentaires

  • Écrire, une activité à plein temps, voire un métier ?  Pensez-vous ! Un simple passe temps pour fainéant...à pratiquer en heures creuses !!!

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