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                                        DE L’ABSTRACTION DES CORPS : L’ART DE DEJAN ELEZOVIC

Du 08-06 au 30-06-18, l’ESPACE ART GALLERY (Rue de Laeken, 83, 1000 Bruxelles) a eu le plaisir de vous proposer une exposition dédiée à l’œuvre du sculpteur suisse, Monsieur DEJAN ELEZOVIC intitulée LA PORTE DU REVE.

Il y a des moments où, une fois entré dans la dimension onirique, l’ « abstraction » (faute de la définir autrement) se dilate en un ensemble de formes que seul le rêve, en tant que véhicule vers une dimension transcendantale, se risque dans une interprétation subjective. Et cela rejoint l’objectif de la sculpture moderne naissante des années ’20.

Des artistes tels que Brancusi se livrèrent à ce travail de mise en parallèle entre formes issues du vocabulaire culturel et onirisme. Il est merveilleux de constater qu’à partir de formes échappées du classique, les œuvres se sont dirigées vers une élongation, pour ne pas dire un étirement à outrance, conduisant à des résultats à première vue non aboutis, parce qu’aux antipodes de ce qui était considéré comme « connu » par une société bourgeoise engoncée dans un conformisme qualifié de révolu par l’avant-garde et fuyant les mutations de toutes sortes, en particulier le changement d’elle-même. Mais ce qui était « connu » et considéré comme définitif était, en dernière analyse, le corps humain restitué dans les proportions établies par le classicisme gréco-romain. Dès lors, l’apparition de l’abstraction en matière de sculpture au début du 20ème siècle, va bouleverser la perception totale de l’œuvre sculptée. Il en va de même pour la peinture sauf que la sculpture va carrément s’introduire dans la pierre, en débusquer toutes ses caractéristiques minéralogiques pour mieux les soumettre aux impératifs techniques et symboliques de la création. L’abstraction appliquée au corps humain brisera à tout jamais l’illusion de la connaissance dans la représentation du corps, à partir d’une rupture sémantique.   

DEJAN ELEZOVIC nous rappelle que son œuvre « contemporaine » par la date, participe de la philosophie du début du siècle dernier. Il nous offre des pièces sur bois qui adoptent souvent des torsions du buste, à la base « classique », pour se perdre dans les méandres que seul le rêve peut à la fois animer, interpréter et prolonger. Dire que l’essentiel de son œuvre est constitué de « pleins » et de « vides » résulterait à s’engouffrer dans la banalité. Mais à y regarder de près, ces pleins et ces vides, constitués de courbes et d’évidements, évoquent une nostalgie de la figure humaine transcendée par une esthétique à l’écoute de l’art moderne.

Ne perdons jamais de vue qu’en matière de sculpture, le mouvement se produit par la rotation du visiteur autour de l’œuvre. SOUVENIR présente deux surfaces enflées : la première dans le bas, l’autre dans le haut de la pièce. Au milieu de celle-ci, une surface évidée unit les deux parties.

      SOUVENIR12273292269?profile=original

Est-ce l’évocation d’un buste? Est-ce simplement un travail sur la forme? Néanmoins, LE DISCOBOLE de Myron (5ème s. avant J.C.) n’est-il pas, lui aussi, un travail sur la forme à partir du corps? Myron reprend une forme connue, l’image de laquelle nous sommes issus : le corps humain. Le corps humain aux prises avec une action socialement connue : celle de lancer un disque, dont l’issue aura des connotations religieuses donc politiques.  

DEJAN ELEZOVIC évoque une idée traduite dans une langue onirique laquelle demande une interprétation plastique subjective, à la fois de la part de l’artiste comme du visiteur. Cela dit, la dialectique demeure la même, en ce sens que derrière le DISCOBOLE s’abrite une idée, non seulement physique du corps mais aussi psychique de ce dernier.

Un parallèle intellectuel (même idéalisé) entre beauté extérieure (le corps) et beauté intérieure (l’Etre). L’artiste, lui, émet un parallèle unissant le corps dans son idée avec la Nature dans sa totalité sensible en se focalisant sur les propriétés spécifiques du bois qu’il traite. Car, délaissant la pierre qu’il trouve moins vivante, il donne la priorité au bois qui, par ses anneaux séculaires, porte en lui la trace visible du temps.

L’OISEAU PENSIF nous ramène à une réalité transcendée. Le discours esthétique demeure le même : deux formes de dimensions opposées, une grande vers le bas signifiant le corps, une autre plus petite signifiant la tête, composant non pas l’oiseau mais bien l’idée de l’oiseau. Un savant jeu de torsions fait que la tête du volatile est tournée à la fois sur sa droite (vue de derrière) et sur sa gauche (vue de devant). La patine joue un rôle primordial dans l’élaboration de la forme en faisant coïncider l’avant du bec avec (dans le bas) la proéminence du ventre de l’oiseau.

      L'OISEAU PENSIF

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COLOMBE DE LA PAIX. L’œuvre a ceci de commun avec L’OISEAU PENSIF (cité plus haut), à savoir qu’elle est associée au piédestal (également de bois) qui la soutient, prenant la forme d’un tronc fendu sur ses deux côtés en son milieu. Ces deux pièces expriment la démarche créatrice de l’artiste : sa prédilection pour le bois par rapport à la pierre (signalée plus haut), le conduisant à créer un assemblage d’images mentales par le biais de la matière. L’oiseau, qu’il soit colombe, perroquet ou moineau, participe comme le bois de la Nature. Posé sur le bois du piédestal, il symbolise l’union entre l’arbre et le volatile. L’un participant de l’autre. Si le piédestal portant la colombe demeure simple, celui de l’OISEAU PENSIF est conçu de façon complexe. Scié en son milieu, une structure cubique en plomb sépare le volatile de son tronc.

      COLOMBE DE LA PAIX

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Cette structure se prolonge dans la fente provoquée par la scie jusqu’à se prolonger vers le bas. La couleur cendre de la structure en plomb résulte du ponçage ainsi que de l’effet de l’air sur la pièce polie.

ELLE DORT présente à l’instar de SOUVENIR (cité plus haut) une forme languissante, abandonnée au sommeil. Sont-ce des jambes?  La partie arrière d’un torse touchant le coccyx? Le haut de la pièce présente un plan incliné, lequel renverse son rythme pour lui accorder une sorte de balancement, accentué d’angles en pointes, vers le bas et vers le haut, comme pour souligner une forme vivante affaissée par le poids du sommeil. La coloration du bois révèle, dans sa partie gauche (par rapport au visiteur) l’éveil d’une sensualité.

      ELLE DORT 

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GARDIENS DU REVE Cette piève unique est sans doute la quintessence de l’exposition car elle allie ce qui confère l’âme de la sculpture moderne occidentale, héritée des arts dits « primitifs », à savoir l’interaction vitale entre pleins et vides. Les vides épousant les pleins dans leur intériorité, ceux –ci se multiplient à l’extérieur par des excroissances rappelant les membres, à la fois osseux et musclés d’un corps humain. Remarquez cette dichotomie ressentie entre l’extrastructure et l’intrastructure de la pièce, accentuée par la patine noire qui recouvre l’intérieur de la sculpture. Cette partie intérieure se différenciant de l’extérieure sert d’ouverture béante -« un ventre »- autour duquel s’organise ce qui sera la forme : un ensemble architectural unissant intérieur et extérieur dans un tout formel. L’ouverture en son milieu n’existe que pour dévoiler les mécanismes internes d’une gestation.

      GARDIENS DU REVE

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REVE est la seule pièce de l’exposition qui ne soit pas en bois mais en albâtre, un minéral extrêmement malléable. Sa blancheur irradiante, sa dimension diaphane, offrent au visiteur l’occasion de « rêver », c'est-à-dire de fixer longuement un nuage jusqu’à ce que l’œil médusé s’abandonne à des aperceptions et prolonge son voyage onirique.

      REVE

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DEJAN ELEZOVIC, qui a fréquenté l’Académie de sculpture de Pristina, sculpte depuis plus de vingt ans. La sculpture a toujours été son moyen d’expression par excellence puisque étant enfant, il sculptait déjà lui-même ses jouets. Le bois est, par conséquent, un matériau sacré pour lui. Les matériaux usités sont principalement le saule, le tilleul, le cerisier et l’orme. Ses pièces ont une hauteur moyenne d’une trentaine de centimètres, à l’exception de GARDIENS DU REVE (cité plus haut) laquelle totalise environs une soixantaine de centimètres.  

Comme pour la pierre, il veut dévoiler la forme qu’elle cache. L’artiste voit dans son élongation la meilleure façon de présenter la noblesse du matériau.

Il y a dans sa façon de sculpter ce que l’on pourrait appeler la « nostalgie du corps humain », car soucieux d’impulser la vie, l’on trouve dans ses formes des parties non précisément anatomiques mais que l’imaginaire du visiteur peut interpréter comme telles. Il ne représente jamais la réalité mais s’en inspire par le rêve dans son rendu esthétique.

A’ ce titre, il coupe le bois sur sa longueur pour la dégager sur quatre pièces, toujours soudées, puis il tourne le rendu sur lequel sculpter et le lisse. Nous envisagions, plus haut, la dialectique du beau dans la Grèce antique. Cette dialectique passait de l’Agora à l’atelier du sculpteur. DEJAN ELEZOVIC entreprend un itinéraire différent mais qui l’amène au même résultat : il part de la forêt (la Nature) pour atteindre l’atelier. Evidemment, la présence de la Nature fait aussi partie de cette même dialectique dans la Grèce antique, puisque la pierre, en l’occurrence le marbre (particulièrement celui de Paros) participe également de la Nature. Cela dit, la suprématie de l’intellect sur la matière l’emporte sur le reste. Et c’est précisément contre cette suprématie de la matière l’emportant, notamment, sur les sens que la sculpture moderne du début du 20ème siècle s’est attaqué avec des sculpteurs tels que Brancusi (cité plus haut) et surtout Hans Arp que notre artiste a beaucoup étudié au point d’en subir son influence. Aujourd’hui, le combat est gagné, ce qui a permis à des artistes tels que DEJAN ELEZOVIC de tourner leur interrogations vers la Nature en accordant à la forme une dimension polymorphe. Le bois rejoint la pierre dans un retour vers une esthétique « moderne ».

Peut-il y avoir derrière cette sculpture une volonté de retourner vers un certain « classicisme moderne » ? Le titre choisi par l’artiste pour illustrer son exposition est LA PORTE DU REVE. Son acte créateur symbolise cette porte. Car le rêve (éveillé ou en phase paradoxale) est en lui-même une création puisqu’elle implique l’imaginaire et le vécu émotionnel de l’artiste (ou du rêveur). Et c’est par la grande porte que l’artiste nous invite à rejoindre son univers.

DEJAN ELEZOVIC part de la Nature pour y retourner dans une conception rêvée touchant souvent à l’abstrait pour en exulter le créé.   

François L. Speranza.

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A voir:

Focus sur les précieux billets d'Art de François Speranza

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L'artiste Dejan Elezovic et François L. Speranza : interview et prise de notes sur le déjà réputé carnet de notes Moleskine du critique d'art dans la tradition des avant-gardes artistiques et littéraires au cours des deux derniers siècles

R.P. 

 

                                                   

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Robert Paul 

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Commentaires

  • ADMINISTRATEUR GENERAL

    L’artiste suisse Dejan Elezovic a exposé ses œuvres dans la galerie en 2018. Et son billet d’art du critique d’art François Speranza sera publié dans le « Recueil n° 7 de 2018 » par « Les Éditions d’art EAG » dans la Collection « États d’âmes d’artistes » en 2021. 

    Lien vers la vidéo lors du vernissage de son exposition dans la galerie :

    https://youtu.be/nNulMSWYSew

  • Une approche passionnante, merci.

    Dominique Joyeux

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