Tatiana Chernicka (Russie, 29 ans) nous avait laissé l’image d’une musicienne sérieuse mais tendue. On retrouve son impatience dans le « Moderato » de la 23e sonate de Haydn : des grappes de notes qui se répondent et se pourchassent avec une célérité un peu vide. De belles demi-teintes éclairent l’« adagio » : le ton s’apaise un peu, un chant s’esquisse mais il ne s’épanouit pas. La précipitation reprend évidemment ses droits dans le « Presto » final qui ne prend guère le temps de respirer.

On l’a dit : l’écriture de l’imposé de Michel Petrossian est de facture très française. La clarté et la transparence éveillent des couleurs diverses et variées selon les épisodes et les jeux de répartie entre le piano et les solistes de l’orchestre. C’est donc là que doit se révéler le tempérament du finaliste. L’attaque du piano doit selon le compositeur marquer le tempo de toute l’exécution.Celle de Chernicka est froide et lente. L’ensemble de l’exécution s’en ressentira. Le clavier ne s’incruste jamais dans la masse orchestrale et demeure dans sa distance solitaire. Ce soliloque qui ne convainc pas, le soliste et l’orchestre semblant suivre des parcours parallèles. Et pourtant l’ONB propose parfois de belles couleurs : elles ne trouvent hélas guère de répondant. Si on ne lui en apporte pas, « In the Wake of Ea » est une partition quid perd alors de sa substance et devient une série de séquences dispersées qui perdent bien vite leur intérêt. Cet imposé propose au candidat de révéler une nature. La leçon de cette exécution est que, si le soliste ne le fait pas, l’œuvre crée un effet de répulsion. Un piège auquel n’a pas vraiment échappé la finaliste.

On attendait par contre un premier concerto particulièrement intense dans la grande tradition léonine russe. Le grand portail d’entrée fait un instant illusion mais très vite des ralentissements intempestifs viennent bloquer le discours. L’œuvre s’étiole inexorablement. Un second mouvement qui se perd dans une foule de détails inutiles et un finale poussif, prosaïque et achèvent de compléter le massacre. En finale du Reine Elisabeth, c’est consternant !

Une prestation exceptionnelle

Elégance, précision, imagination, Zuo Zhang (Chine, 23 ans) est une fine musicienne dotée de moyens importants. « Allegro » enjoué mais bousculé, scherzo enlevé et parfois grognon, menuet délicieusement chantant, finale impérieux et volontaire : le Beethoven de cette 18e sonate est la rencontre heureuse d’un ton enjoué et de savants effets perturbateurs. Une belle imagination de timbres domine l’attaque de l’imposé : elle prélude à un dialogue vivifiant avec l’orchestre qui nous vaut des moments d’une belle complicité. La partition de Petrossian trouve enfin sa juste perspective.

Sonorités superbes et profondes, qualité du chant, justesse des phrasés, le premier mouvement du concerto de Tchaïkovski a beaucoup de classe. Il a aussi un sacré aplomb que l’on n’attendait peut-être pas de cette candidate. Du relief, de l’énergie, de la vigueur, on est bien face à un des grands concertos romantiques. Un « andantino semplice », savoureux et aérien, tout en suggestions fantasques et un finale aussi vigoureusement emporté que solidement charpenté confirment, au-delà de la fine musicienne, l’existence d’un sacré tempérament. Une prestation qui dépasse par son panache nos espoirs.

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