Violence and Son
De Gary Owen | Du 6 au 21 janvier 2023 | Création Au Théâtre de Poche ( Bruxelles)
Et à l'Eden Charleroi du 24 au 27 janvier 2023
Violence &Son: Violence c’est le surnom du père, le fils c’est Liam.
Rembobinons: l’adolescent tourmenté vient de perdre sa mère dont il a dû quitter la maison pour déménager dans les Valleys, ancien bassin minier pourri du pays de Galles pour rejoindre Rick, ce père qu’il ne connaît pas.
Il va découvrir avec stupeur un être truculent, pétri du machisme et de gouaille. Bienvenue dans la vulgarité des gestes et du langage. Avec sa copine sauce piquante, ils illustrent à merveille les soubresauts de la violence domestique et d’une sexualité brûlante.
N’empêche, le point de vue que défend ardemment l’auteur, Gary Owen, est que le machisme se transmet inévitablement de générations en générations. Le transfert se fait même d’un père survolté vers un fils ultra timide et réservé. Imaginez le comédien en chemise jaune passé et en pantalon aubergine, assortis aux trois portes et murailles mobiles qui constituent le décor. Ah ! J’oubliais ; un nœud pap ! Et un père explosif, en chemise ouverte et jeans que l’on verrait bien comme tenancier de pub.
La traduction est un chef d’œuvre de la langue brutale et elliptique actuelle. Il faut d’ailleurs un peu de temps pour s’y habituer: rythme hystérique, vocabulaire grossier, phrases inachevées. Mais passé l’électrochoc du début des échanges, on entre progressivement dans une tension émotionnelle hallucinante.
Le jeune Liam inexpérimenté a donc ramené chez lui une donzelle à la jupe de la taille d’une ceinture, qui minaude tant et plus, tout en ne cessant pas d’évoquer un petit ami qu’elle rêve de quitter. Il est assez vite clair qu’elle mène le jeu. Son invitation à la danse est à peine voilée, tandis que Gary Owen organise méthodiquement son champ de mine.
La comédie hystérique du début s’estompe peu à peu pour faire place à un crescendo dramatique aboutissant á la condamnation de Liam lorsqu’il osera suivre les conseils de son paternel. Gary Owen a réussi le tour de force de transformer un vulnérable jeune homme aux abois en un Don Juan abuseur, c’est du moins la version de la fille.
Mais n’est-ce pas lui qui aurait été piégé en toute bonne foi? Oublions donc la perpétuelle cette triste excuse invoquée par les violeurs de tout poil qui assure que le « non » des filles est le plus souvent un « oui » ou un « encore » déguisé ! l y a eu certes un malentendu, au propre comme au figuré. Et en dépit de Gary Owen, qui veut prouver que la gent masculine est coupable à tous les coups, le Liam en question, qui n’a connu des femmes que sa défunte et misérable mère, est finalement une proie de choix pour des tribunaux tolérance zéro de la séduction.
Mais en définitive il faut surtout admirer l’énergie impressionnante des quatre personnages incarnés par un quatuor d’excellence : Adrien De Biasi, Léone François, Jean-Luc Couchard, et … Magali Pignlaut dans une éblouissante mise en scène de Jean-Michel Van Den EEyde.
De Gary Owen
Traduction Kelly Rivière
Mise en scène Jean-Michel Van den Eeyden
Assistante à la mise en scène Béatrice Wegnez
Avec Adrien De Biasi, Jean-Luc Couchard, Léone François et Magali Pinglaut
Création lumières Antoine Van Agt, accompagné de Maximilien Westerlinck
Création sonore Julie Rens
Dramaturgie Anne-Sophie Sterck
Scénographie Sofia Dilinos
Costumes Sandra Rondeau
Une coproduction du Théâtre de Poche, du Théâtre de l’Ancre de Charleroi
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Violence and Son
Père et fils piégés par la violence
Dans "Iphigénie à Splott", que le Théâtre de Poche reprend en avril 2023, Gary Owen raconte le chemin de croix d’une laissée-pour-compte, qui en se sacrifiant retrouve sa dignité. Sans misérabilisme. C’est avec le même humour grinçant et la même empathie que dans "Violence and son", il décrit les tensions entre des adultes brutaux et des jeunes vulnérables. Parfois drôle, cette comédie soulève de nombreuses questions sur la violence intra-familiale, la transmission des valeurs, l’hérédité, l’alcoolisme, la notion de consentement.
La mort de sa mère a obligé Liam à déménager dans un trou perdu du Pays de Galles, pour vivre chez un inconnu : Rick, son père biologique. Ce soir, le jeune homme a invité Jen à revoir quelques épisodes de "Doctor Who", une série de science-fiction désuète , dont tous les deux sont fans. Il aimerait bien partager avec elle d’autres plaisirs, mais les filles l’intimident. Jen apprécie sa compagnie : "Je peux vraiment te parler. Les garçons ici, en gros, ils grognent." Pourtant elle hésite à casser avec Jordan, un rugbyman très prometteur. En débarquant dans leur salon, Rick et Suze, sa compagne, affichent sans complexe leur vulgarité. Cependant ils accueillent chaleureusement l’amie de Liam, en l’invitant à partager leurs frites. Jen préfère rentrer chez elle.
La pluie l’en empêchera. Sa présence réveille le machisme conquérant de Rick. Soulagé que son fils ne soit pas une tapette, il veut lui faire profiter de son expérience de tombeur. Durant ces tête-à-tête, les deux hommes règlent leurs comptes. Liam reproche à son géniteur d’avoir abandonné lâchement sa mère. Obligé de vivre avec cet alcoolique, il se sent désespérément seul. Rick tente se justifier, mais très vite cède à la brutalité, dont il aime se vanter. Pourtant il promet de renoncer à ses cannettes et Liam ne boude pas ses conseils.
La mise en scène adroite de Jean-Michel Van Den Eeyden maîtrise la tension dramatique et pousse chaque comédien à révéler progressivement la complexité de son personnage. On sent d’emblée que Rick se prend pour un mâle dominant, fier d’avoir cassé la gueule à un rival. Jean-Luc Couchard joue les matamores, mais sous l’outrance percent les fêlures. Cet homme belliqueux, imbu de lui-même a des regrets : "Je bois depuis que j’ai quatorze ans." Magali Pinglaut fait bien sentir que, sous une apparence provocante, Suze recherche la sérénité. Elle encourage Liam à tenter sa chance, mais sans lui forcer la main. Contrairement à Rick, dont la violence menace leur vie commune. Adrien De Biasi incarne un Liam déboussolé par la disparition de sa mère. Sans argent, il est condamné à subir une cohabitation toxique, qui perturbe ses relations sentimentales. Léone François est une Jen tiraillée entre l’enfant et l’adulte. Comme Liam, elle balbutie sa vie. Mais c’est une jeune fille plus lucide. Elle ne se sent pas à l’aise dans ce milieu paumé et lorsque’elle découvre la blessure de Liam, elle l’incite à rompre avec la violence
Le décor utilisé par la scénographe Sofia Dilinos est astucieux. Des panneaux pivotants, incrustés de portes, suggèrent différentes pièces. En se rapprochant, ils rétrécissent le salon et rendent l’atmosphère de ce huis clos plus étouffante. "Violence and son" nous sensibilise à différents problèmes de relations humaines, en évitant tout didactisme. Gary Owen construit des personnages qui nous touchent, parce qu’il leur permet d’avoir à la fois tort et raison. Subtile, mordante, parfois cocasse, sa comédie, jouée par quatre comédiens talentueux, mérite l’adhésion enthousiaste du public.
Jean Campion
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