Alljährlich naht vom Himmel eine Taube,
um neu zu stärken seine Wunderkraft:
Es heißt der Gral, und selig reinster Glaube
erteilt durch ihn sich seiner Ritterschaft.
« Une légende médiévale à propos d’un mystérieux Chevalier au cygne, une réflexion sur le véritable amour qui jamais ne doit poser de question, mais surtout : trois heures et demie d’une musique transcendante, qui vous emporte, comme sous hypnose, au cœur du romantisme allemand. LE « LOHENGRIN » DE RICHARD WAGNER est une expérience totale de l’opéra. » Et un foisonnement de questions…
« Pour cette nouvelle production à la Monnaie, le chef d’orchestre Alain Altinoglu à la tête de l’Orchestre symphonique et du Choeur de la Monnaie, se replonge dans la brillante partition qu’il a déjà dirigée à Bayreuth. Le metteur en scène Olivier Py se lance le défi d’égaler le succès rencontré avec Dialogues des Carmélites. »
NOUVELLE PRODUCTION
Première 19 avril 2018 - 18:00
20*, 24*, 26 & 27* avril 2018 – 18:00
22 & 29 avril 2018 – 15:00
2* & 4 mai 2018 – 18:00
6* mai 2018 – 15:00
THÉÂTRE ROYAL DE LA MONNAIE
« Hélas, c’en est fait de notre bonheur ! » « Der Tod ist ein Meister aus Deutschland » Le palais du Reichstag est en ruines après la bataille de Berlin lancée le 16 avril 1945 par les Soviétiques… La ville effondrée. Les plaies de la guerre. Des images familières de la Syrie actuelle surgissent sans peine dans le subconscient contemporain. Tout peut toujours recommencer. A cause de l’Hubris, disent les grecs anciens. Orgueilleuse curiosité versus orgueilleuse cupidité… Rien n’a changé. En dépit des braves et purs chevaliers blancs du Graal et des protections divines. Malgré leurs reliques : le cor, l’épée, l’anneau. Malgré, ou à cause, des dieux… ?
« Nie sollst du mich befragen… » Tu ne devras jamais me questionner ... La transgression est inscrite dans la condition humaine, dans toutes ses mythologies. Les liens entre la politique et le sacré sont-ils néfastes? Que vont faire les survivants après la chute? Tout recommencer… Que peut-on faire de différent ? Quel est le nom du temple ? Le pouvoir hégémonique? L’argent ? Tous les temples ne sont-ils pas faits pour être détruits? Que faire des antiques valeurs ? De la pureté idéale? De la foi infaillible ? …Ou de la Loi, s’interroge-t-on. Toutes ces choses, le rêve de la confiance absolue, existent- elles, ou sont-elles pures chimères? C’est le mystère profond qui inonde cette merveilleuse œuvre de Wagner et qui propose à chacun de se formuler les questions qui le hantent. Faut-il détruire pour rebâtir ? La question du bien et du mal, sa banalité. Le violent désir de vengeance et sa putride vanité. L’amour indéfectible? L’absolue confiance en l’amour est-il un leurre, l’amour absolu est-il de ce monde ou d’un autre?
Chaque minute de la polyphonie wagnérienne - et elle dure trois heures 1/2 heures sans les entractes - est, en soi, un pur joyau offert par Alain Altinoglu qui polit chaque intervention d’instrumentiste comme autant de capsules musicales jetées à la face de l’univers. Chaque facette est faite des palpitations vivantes. Pas une minute d’ennui ou de lassitude, on est au cœur du merveilleux, dans une grotte de splendeurs où brillent mille feux! Et tantôt les plages symphoniques d’une puissance émotionnelle stupéfiante dont il compose et recompose sans cesse le bouquet pour créer une musique expressive sans cesse renouvelée. Le talent du chef d’orchestre est tellement humain lorsqu’il traite de cette musique … surhumaine, quel beau et vivant paradoxe !
Et quelle victoire sur le mal, puisque la musique efface littéralement la haine, comme on le voit si bien à la fin de l’acte 2. Mais l’art, y contribue aussi. En particulier celui de la mise en scène signée Olivier Py. Il nomme les choses, il écrit les mots sur les murs. Il verbalise. Tout est vivante balise… Particulièrement le magnifique chœur et son coryphée qui transmet l’esprit de la tragédie grecque, celle d’Euripide, la plus humaine. La plus fantastique, ici, sur cet amas de ruines. Chacun dignement vêtu de sobriété, debout face au public, les choristes sont emportés par la scène tournante comme de lointains échos portés par les vents. Ils sont aussi assis aux fenêtres des immeubles dévastés, fondus dans une identité de survivants de catastrophe mondiale. Spectateurs de tragédie, commentateurs empathiques, sagesse empirique. Le chœur est un ensemble puissant comme un océan de vibrante humanité. Et tranchante comme des éclats de verre aperçus sur les façades, contemplez l’image du revers de la médaille qui fustige le philistinisme bourgeois dans toute sa raideur.
Et sur l’île déserte du troisième acte, qu’ont les amants emporté ? …Les noms des illustres auteurs allemands qui ont fait l’Allemagne: Goethe, Novalis, Hegel, Hölderlin, Schiller, Heinrich Heine… Et pour chacun, une œuvre d’art, symbole beau comme une poterie millénaire exposée dans une bibliothèque de bronze vert. Le temps et ses aiguilles, le cygne, la lyre d’Apollon, un cheval de Troie qui a séjourné au fond de la mer, un navire de guerre, des hégémonies disparues et la place et la responsabilité des artistes dans la société contemporaine.
Hélas, au pied de l’écriteau nommant le conteur Grimm, reste juste une souche d’arbre séculaire. Le puissant chêne des dieux germaniques, le bel arbre de vie, celui où se rend la justice, a été raccourci à un mètre du sol et ne protège plus les amants dont le rêve va mourir. Le rêve avorté du Printemps des peuples en 1848 à travers l’Europe? Le glaive est là, Le blanc chevalier s’est vêtu de noir. Arracher les aiguilles du temps n’a servi à rien pour arrêter le désastre. L’amour va mourir. C’est la condition humaine. Quant à la promesse de renaissance du jeune frère… ne serait-ce pas le pire, que l’utopie disparaisse? Il reste que chacun peut se battre pour faire triompher la vie…
L'opéra romantique de Wagner exige des comédiens qui puissent véritablement habiter leurs rôles, et c'est exactement ce qu’ils font tous. Un cast de rêve pour cette prodigieuse première. Est-il possible pour un chevalier du Saint-Graal de paraître plus envoûtant, noble et pur qu’Eric Cutler ? Quelle infinie délicatesse dans son phrasé de « eine Taube », les mots les plus fragiles de l’opéra! Pas étonnant que l’exquise Elsa – Ingela Brimberg – ait eu pour lui le coup de foudre, même en son sommeil ! Au fur et à mesure, on s’éprend de l’innocence virginale de son personnage, mais aussi de la jeune femme si passionnée et si réelle. Et la noire démence va tellement bien à la mezzo-soprano russe Elena Pankratova (et la mezzo-soprano allemande Sabine Hogrefe en alternance) qui interprète Ortrud la monstrueuse sorcière qui accuse Elsa et Lohengrin d'utiliser la magie pour pervertir le jugement de Dieu. Son interprétation de feu la transfigure et laisse le public pantois!
La Monnaie présente donc cette nouvelle production de Lohengrin avec deux très belles distributions en alternance. La basse hongroise Gábor Bretz débute à la Monnaie dans le rôle du roi Heinrich der Vogler, Henri L’oiseleur. Royal, auguste, puissant et superbe. Deux grands ténors font leurs débuts dans le rôle du chevalier Lohengrin, l’Américain Eric Cutler et le Canadien Joseph Kaiser*. Eric Cutler s’est avéré fascinant, en voix, en charme, en théâtralité et en émotions. Pour interpréter Friedrich von Telramund lors de cette fabuleuse première, Andrew Foster-Williams, baryton-basse, a formé avec Elena Pankratova un duo parfait d’entente et de fourberie. Thomas Jesatko* est en alternance.
Depuis Salome (Strauss) en 1992, Werner Van Mechelen est revenu régulièrement à la Monnaie. Il incarne le très indulgent personnage de Heerrufer. Les Nobles sont chantés par Zeno Popescu, Willem Van der Heyden, Bertrand Duby, les femmes par Raphaële Green (MM Laureate), Isabelle Jacques (MM Soloist), Virginie Léonard (MM Soloist) en Lisa Willems. La presse, debout ; une salle en ébullition ; des salves bruyantes d’applaudissements terminent les presque cinq heures de spectacle.
https://www.lamonnaie.be/fr/program/429-lohengrin
https://fr.wikipedia.org/wiki/Lohengrin_(op%C3%A9ra)
https://www.opera-online.com/items/works/lohengrin-wagner-wagner-1850
https://www.lamonnaie.be/fr/long-reads/928-olivier-py
Diffusion sur Klara & Musiq3
26.05.2018
en live sur ARTE Concert
26.04.2018
streaming sur
www.lamonnaie.be/fr/streaming
22.05 > 11.06.2018
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Lohengrin
opéra de Richard Wagner
La compromission posthume de Wagner avec le nazisme est devenue un lieu commun auquel il est difficile d'échapper. Ce n'est pas la seule raison qui valut à Olivier Py d'introduire sa mise en scène de Lohengrin par une brève allocution en incipit de soirée. C'est la célébration de la domination germanique dans l'opus le plus explicitement politique de l'échanson de Bayreuth – même si cette lecture n'en saurait épuiser les ressources herméneutiques – qui poserait problème, au delà des ressemblances lexicales entre le livret et le lexique du national-socialisme, dont il est loisible de discuter les intentionnalités. Mais l'ouvrage interroge le nationalisme plus qu'il n'en fait l'apologie : c'est la raison pour laquelle on peut le monter (et l'apprécier) « sans commettre de faute politique », pour reprendre les mots du metteur en scène. Sans souscrire nécessairement à cette grandiloquence morale, il est certain que la dramaturgie de la pièce, avec sa fin tragique, ne la condamne pas à une irrémissible récupération qui, sinon, susciterait un malaise chez le mélomane assujetti aux sortilèges de la musique.
Sans être indispensable à la compréhension du spectacle, ce petit laïus (qui résume un texte plus développé publié dans la brochure de salle) élucide les choix scénographiques, inscrivant l'argument dans la dévastation de l'année zéro, 1945, à l'heure de la défaite du délire nazi, variante pathologique d'un nationalisme corrompu par l'idéologie de la suprématie raciale. De fait, et en cohérence avec ses déclarations, Olivier Py choisit de lire Lohengrin à partir de l'échec de l'incarnation de son programme sur la scène historique. Si l'on peut suivre le propos au gré d'indices jalonnant la mise en scène, à l'exemple d'un troisième acte s'ouvrant sur une masse de valises migrantes qui fuient la déréliction militaire, ou encore du duc de Brabant, que le fils de Parsifal a ressuscité, mais qui n'est qu'une statue à l'inertie cadavérique, c'est d'abord le dispositif visuel dessiné par Pierre-André Weitz qui retient l'attention et confère à l'ensemble une unité poétique bien plus efficace que les intentions exégétiques.
La nature rotative du décor, marque de fabrique du complice duo, dévoile un bâtiment aux fenêtres explosées, ultime bastion autour de l'effondrement général, aux allures de Bundestag ou de salle d'opéra où les chœurs prennent place. On ne saurait mieux célébrer les noces vénéneuses du politique et de l'esthétique. L'anthracite de rigueur du plateau se trouve rehaussé par les éclairages de Bertrand Killy, mettant en évidence les paradoxes de ce monumentalisme meurtri, qui n'est autre que la métaphore de ceux des aspirations de l'absolutisme germanique. En somme, l'essentiel du discours théâtral est assumé par la beauté plastique du visuel.
Sans doute également, si le mélomane ne garde qu'un souvenir générique de la relecture d'Olivier Py, c'est à cause – ou grâce – à la magie de la musique, et d'abord de la fosse. Reconnu en particulier dans le répertoire français, Alain Altinoglu n'avait dirigé qu'une fois Wagner. C'était Lohengrin à Bayreuth en 2015, avec les rats d’Hans Neuenfels. Certes, il serait prématuré de conjecturer à partir d'une seule performance. Pour autant, le travail du chef à la tête de son Orchestre Symphonique de La Monnaie renouvelle de manière originale le regard sur la partition et les présupposés sonores wagnériens. Soigneusement mis en place, le Préludedistingue peut-être les très bonnes phalanges des meilleures, ces dernières distillant instinctivement le frémissement éthéré des cordes, sans qu'il soit besoin de les préparer. Mais l'ensemble de la soirée porte l'empreinte d'une admirable réflexion sur la facture orchestrale, l'architecture dramatique et le tissu thématique de Lohengrin, dont les pupitres bruxellois se font les relais avec un niveau de grain et de précision évocatrice qu'on ne leur a pas toujours connu. À rebours des brumes septentrionales, ce Wagner-là respire une lumière nettement plus méridionale – de quoi réconcilier Nietzsche avec ses préférences contrariées – sans jamais contredire le génie des notes, bien au contraire. Le hâle délicat distille une sensualité inédite, et, allié avec un sens très ductile destempi, révèle avec une belle limpidité les affinités électives qui nourrissent l'écriture wagnérienne. Ainsi la fluidité légère et vaillante des cuivres dans l’Acte II se rapproche-t-elle de la juvénilité impétueuse de Siegmund dans Die Walküre, quand la rupture brutale du climax y annonce celle du deuxième acte de Tristan und Isolde – qu’Altinoglu dirigera ici-même la saison prochaine, ce qu'on attend désormais avec un intérêt certain. Dans le registre des palimpsestes, le Chœur de La Monnaie, remarquablement préparé par Martino Faggiani, assume une légitime parenté avec Der fliegende Holländer.
La distribution vocale n'est pas en reste.
Dans le rôle-titre, Eric Cutler se préserve vraisemblablement quelque peu au début pour livrer un troisième acte exceptionnel [lire nos chroniques de Król Roger, Les Huguenots et Les Troyens]. Non content de se glisser dans le lyrisme du personnage, le ténor étasunien laisse affleurer une fragilité lézardant l'héroïsme qui n'est pas sans rappeler çà et là Wolfgang Windgassen – lequel savait, à l'occasion, dépasser le monolithisme de l’Heldentenor. Il y a là une authentique et irradiante incarnation du chevalier du Graal que l'on retiendra. En Elsa, Ingela Brimberg résume une blondeur de timbre qui n'ignore pas l'intelligence du texte. Celle dont témoigne Elena Pankratova en Ortrud enflamme littéralement les planches : la plénitude de son mezzo est prolongée par un gourmand jeu d'acteur et de mimiques faciales, à peine pondéré par une très discrète ascendance slave dans une élocution au demeurant sans reproche – ici, le diable parle allemand avec l’accent russe [lire nos chroniques du 9 juillet et 20 mars2017, du 2 août 2016 et du 23 mars 2014]. On trouvera peu à redire du solide Heinrich de Gábor Bretz [lire nos chroniques de Tannhaüser, Elektra, Faust et Gurrelieder] quand on émettra quelques réserves sur le Telramund d'Andrew Foster-Williams, plus à fleur de peau qu'en pleine possession de ses moyens [lire nos chroniques du 23 juillet 2017, des 17 septembre et 3 juillet 2016, du 29 janvier 2015 et du 18 juin 2005]. Signalons encore le Héraut de Werner van Mechelen ainsi que les nobles brabançons (Bertrand Duby, Willem van der Heyden, Zeno Popescu et Kurt Gysen) et les quatre enfants (Raphaële Green, Isabelle Jacques, Virginie Léonard et Lisa Willems), lesquels donnent la voix à de jeunes solistes, complétant ainsi le tableau d'un Lohengrin d'abord pour la musique.
GC
Altinoglu et Py réussissent superbement leur Wagner.
Alain Altinoglu n’a pas par hasard dirigé "Lohengrin" dans le temple de Bayreuth : à la tête d’un orchestre de la Monnaie transcendé, il signe une lecture d’anthologie, ouverte par un prélude idéalement rond, soyeux, aérien et caressant et poursuivie par un vaste arc de tension dramatique constante. Le chef français aime et magnifie sa partition, et les pages chorales - coup de chapeau au travail de préparation de Martino Faggiani - sont d’autant plus bouleversantes qu’Olivier Py et son décorateur et complice Pierre-André Weitz ont conçu un dispositif scénique impressionnant qui permet d’occuper non seulement toute la largeur mais aussi toute la hauteur de la scène. C’est un théâtre, aux vitres brisées et aux murs brûlés dont les loges sont toujours là et qui offre, dès le début, l’occasion d’une belle mise en abîme : les personnages principaux sortent de dessous la scène mais n’existent qu’après avoir revêtu leur costume-manteau.
Exaltation musicale et grand spectacle
C’est un théâtre, mais c’est bien plus : plateau tournant, éléments modulables, changements à vue et toiles peintes aidant, ce sont aussi les ruines du Berlin de 1945, les gorges romantiques ou les clairs de lune à la Caspar David Friedrich, mais toujours dans ces camaïeux de noir, de blanc et de gris chers à Py et Weitz. C’est même, finalement, un tableau géant divisé en neuf cases où Elsa et Lohengrin se promènent entre symboles et mânes allemands, de Goethe à Beethoven en passant par Hegel, Hölderlin, Weber et d’autres (dont Friedrich) et en s’offrant même au passage le plaisir d’une citation visuelle du premier acte de "La Walkyrie".
Alors, oui, on peut éventuellement mégoter sur une Elsa un peu âgée, plus cougar que virginale oie blanche face à un Lohengrin juvénile : mais Ingela Brimberg est formidable de clarté, de puissance et d’intonation, et la voix bien timbrée d’Eric Cutler, si elle peut sembler un peu mince dans les passages héroïques, est d’une suavité bouleversante dans le récit du Graal et les adieux du troisième acte. Oui, on peut trouver que l’Ortrud impeccable d’Elena Pankratova (juste d’un bout à l’autre, chose rare en ce rôle), plus Lady Macbeth que jamais, écrase un peu trop un Telramund bien projeté (Andrew Foster-Williams) mais manquant presque autant de grave que d’autorité. Oui, on peut penser que telle scène ou telle image "fonctionne" moins bien (la partie d’échec du jugement de dieux, les seaux de débris portés par les chœurs féminins…), mais force est de reconnaître à Py une implacable cohérence, un vrai sens théâtral, un souci de lisibilité de l’histoire (sa brève introduction avant le lever de rideau n’était nullement indispensable), et quelques jolis effets de surprise. Gottfried, le prince disparu, que l’on aura vu se promener pendant toute la soirée (jouant notamment avec des bombardiers miniatures dont les ombres projetées disent mieux que tout l’imminence du Troisième Reich), est finalement retrouvé à l’état de cadavre, mais n’a-t-on pas vu Ortrud l’étouffer ?, Et si le Héraut (formidable Werner Van Mechelen) lui propose de tenir une très actuelle mitraillette durant la séance de photos promotionnelles avec le Roi (excellent Gabor Bretz), Lohengrin la refuse. Et, surtout, on échappe tant aux uniformes nazis qu’aux croix gammées, alors même qu’Ortrud aura passé la soirée à s’essayer à toutes leurs versions antérieures.
Bruxelles, la Monnaie, jusqu’au 6 mai ; www.lamonnaie.be
Une fantastique dernière de Lohengrin du cast Cutler/Brimberg/Pankratova /Foster-Williams/Bretz/van Mechelen avec l'orchestre et les choeurs de la Monnaie dans la mise en scène d'Olivier Py et sous la superbe direction d'Alain Altinoglu.
La nouvelle production de Lohengrin à la Monnaie de Bruxelles ose la polémique par le biais de la mise en scène discutable mais passionnante d’Olivier Py, fertile réflexion sur les conséquences ultimes du nationalisme allemand depuis ses racines romantiques jusqu’à la chute du troisième Reich.
Autant par un long et passionnant texte de présentation repris dans le programme que par une courte allocution avant le spectacle précisant son propos, Olivier Pyexplique comment il a conçu la représentation plausible d’un Lohengrin dans une Allemagne non plus fantasmée dans sa volonté de puissance à l’époque de la composition du drame, mais détruite dans ses encombrants idéaux historiques par la faillite prévisible du cauchemar national-socialiste.
Les costumes et coupes de cheveux sont sans équivoque, nous sommes bien dans les années 1940 dans un pays vaincu et en ruines, sous les oripeaux d’un empire déchu. Lohengrin n’est plus dès lors un opéra nationaliste, mais une oeuvre sur le nationalisme, ses vertiges dominateurs et son irrémédiable chute tragique : la seule perspective d’avenir plus heureux et pacifié réside dans les ultimes pages, avec l’avènement du prince Godefroy libéré de tout sortilège et figuré tout au long de l’opéra par un innocent enfant immaculé, doublé du départ de Lohengrin et de l’effondrement d’Elsa, en l’absence de toute rédemption par l’Amour (thème ailleurs souvent récurrent chez Wagner). L’action est ainsi décalée, les assemblées plénières des notables et du peuple prennent place dans un théâtre en ruines, par une habile mise en abyme. L’on « joue à » Lohengrin, après les ravages de la défaite et des bombardements, au milieu des gravats évacués pitoyablement ; le drame se déroule entre tréteaux et coulisses où dorment au troisième acte les statues et évocations bien altérées du romantisme allemand (Goethe, Schiller, Grimm, Hegel…).
Certes, cette approche à la fois historisante et postmoderne a, dans sa cohérence même, ses limites et ses tics : abus du plateau tournant pour la mutation des décors de Pierre-André Weitz, teintes uniment sombres, dichotomie forcenée du noir et du blanc, surlignage assez lourd des intentions de l’action par des graffitis, figuration assez décalée d’un bateleur pour remplacer les festivités du prélude au troisième acte. Mais cela ne justifie en rien, lors du salut du metteur en scène en fin de représentation, les huées venant de la part la plus réactionnaire du public, sans doute allergique à une lecture critique et actualisée des ambiguïtés politiques du livret wagnérien.
Pour cette production, la Monnaie a fait appel a deux distributions différentes pour les quatre principaux rôles. Il nous est donné d’entendre ce soir la seconde équipe. Le ténor américan Bryan Register remplace presque au pied levé Joseph Kaiser souffrant : il campe un Lohengrin fragile et nuancé auquel il manque peut-être un soupçon de vaillance héroïque et d’ampleur lyrique. L’Elsa de Meagan Miller a sans doute la présence dramatique et hallucinée attendue, mais sa performance vocale est entachée d’un excès de vibrato contrariant parfois la justesse. Le Telramund de Thomas Jesatko, certes présent et efficace, manque sans doute un peu de noirceur et de puissance. A notre sens ce sont l’Ortrud aussi glaçante que manipulatrice de Sabine Hogrefe, authentique et magnifique soprano dramatique, le héraut très humain de Werner van Mechelen, et surtout la basse impériale et généreuse de Gábor Bretz en Henri l’Oiseleur qui suscitent le plus d’enthousiasme et d’adhésion. Mentionnons aussi la performance des chœurs de la Monnaie, et spécialement celle des pupitres masculins, en très grande forme vocale et admirablement préparés par Martino Faggiani. Mais les presque quatre heures de l’œuvre sont portées à l’incandescence par la direction engagée et aussi finement nuancée
(dès les pianissimi du prélude au premier acte) d’un Alain Altinoglu en état de grâce, aussi précis qu’engagé, aussi scrupuleux que lyrique, à la tête d’un Orchestre de la Monnaie en grande forme doté ainsi d’un impressionnant éventail de nuances au fil de cette riche et mordorée partition.
Crédit photographique : © Baus / La Monnaie
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