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Portrait
de Matisse par André Derain (1905)
Bien qu'il n'ait pas atteint la
popularité de Picasso, Matisse est certainement un des trois ou
quatre hommes qui ont le plus profondément marqué l'art du XXe
siècle et dont l'influence, de son vivant comme après sa mort, est
la plus féconde. C'est en 1905 que Matisse commence à connaître la
notoriété comme chef de file du fauvisme ; mais il n'a jamais cessé
de se renouveler, et l'évolution profonde de son art, la richesse
de sa personnalité, la diversité des techniques employées
(peinture, sculpture, gravure, tapisserie, décor de théâtre,
vitrail, papier découpé...) interdisent d'enfermer Matisse dans
l'histoire d'un mouvement passager ou dans une doctrine. Les
grandes compositions de la maturité, les livres illustrés ou bien
la merveilleuse chapelle de Vence achevée en 1951 ont peu de points
communs avec les toiles du temps de la « cage aux fauves » de
1905.
Dissimulés par la pudeur et la discrétion de l'homme qui, refusant
tout exhibitionnisme, a également caché sa vie privée, le travail
incessant de l'artiste, son inquiétude même n'apparaissent guère
dans l'oeuvre achevée. A une époque dont l'art est dominé par la
tension, l'esprit de recherche ou l'inquiétude, l'oeuvre de Matisse
contraste par sa beauté évidente et apaisante, par une perfection
formelle où élégance et rigueur s'équilibrent.
(Pour éviter une confusion avec Auguste Matisse, peintre
aujourd'hui oublié, l'artiste a très tôt écrit son nom «
Henri-Matisse » ; aussi est-il classé à la lettre H dans un certain
nombre de catalogues et de répertoires.)
L'évolution d'un élève de
Gustave Moreau
Comme Kandinsky ou Bonnard, Henri Matisse commence une carrière
juridique avant de se tourner vers la peinture. Né au Cateau
(Nord), il vient à Paris en 1892, travaille à l'École des arts
décoratifs et à l'académie Jullian avant d'entrer à l'École des
beaux-arts, dans l'atelier de Gustave Moreau. Moreau, artiste
aujourd'hui réhabilité, professeur intelligent et libéral,
considère Matisse comme un de ses plus brillants élèves, mais, à la
mort du maître (1898), l'élève est exclu de l'école. Il mène alors
ses recherches seul, se montre sensible à l'apport des
néo-impressionnistes, de Cézanne, de Gauguin et de Van Gogh,
commence à employer des couleurs pures et exécute ses premières
sculptures. Pendant l'été de 1904, qu'il passe à Saint-Tropez, près
de Signac et de Cross, il se rapproche à nouveau du
néo-impressionnisme ; puis, à Paris, pendant l'hiver, et, au
printemps, à Collioure, où il va être rejoint par Derain, il peint
une série de tableaux dont la couleur éclatante devait faire
scandale au Salon d'automne de 1905 ; le fauvisme naît alors en
tant que mouvement et, par son âge, sa culture, son autorité,
Matisse en fait figure de chef. Cependant, Matisse abandonne vite
les couleurs violentes et une facture brutale pour un art plus
strict. Il trouve alors ses premiers amateurs. Plusieurs voyages,
en Allemagne, puis en Algérie et au Maroc, renouvellent son
répertoire visuel. Une volonté de construction plus précise, le
goût des grandes compositions rythmées de formes très linéaires,
les aplats de couleurs tantôt sourdes, tantôt vives, mais peu
nombreuses et servant à exprimer l'espace, constituent un profond
renouvellement par rapport à la période fauve. Ces années
(1908-1917), dans leur austérité très voulue, marquent un des
sommets de sa carrière.
Assez brusquement, Matisse adopte, vers 1918, un art plus détendu
et revient au modelé et au clair-obscur traditionnels ; c'est
l'époque des Odalisques. Mais, dès 1925-1926, il retourne à un
style plus net, à un dessin plus schématique, à des couleurs
arbitraires et s'achemine vers cette alliance de somptuosité dans
les couleurs et de dépouillement dans les contours qui
caractérisent désormais son oeuvre.
En 1930, il séjourne à Tahiti ; en 1933, il achève pour le docteur
Barnes, à Philadelphie, sa grande composition, La Danse . Il
diversifie encore ses techniques : la sculpture, la gravure qu'il
n'a jamais cessé de pratiquer l'attirent de plus en plus ; puis il
se lance dans la découpe directe et le collage de grands papiers de
couleurs ; de 1948 à 1951, il consacre l'essentiel de son temps à
la chapelle du Rosaire de Vence. Il meurt à Nice.
Le style et les
thèmes
L'existence de périodes plus ou moins bien délimitées dans l'oeuvre
de Matisse ne doit pas en dissimuler la profonde unité. Ainsi, dans
son art, dessin et couleur sont indissociables. Ses nus, ses
portraits au crayon, certaines de ses gravures, où la forme est
cernée par un tracé sans défaut, ont la perfection rassurante des
dessins d'Ingres. Mais opposer le dessinateur au coloriste n'aurait
aucun sens, non seulement parce que Matisse est aussi éblouissant
coloriste que grand dessinateur, mais surtout parce que chez lui
dessin et couleur forment les éléments indissociables de son
langage plastique. « Mon problème, dit-il, est de trouver l'accord
entre mon dessin, les couleurs et mon sentiment. » Sauf pendant de
courtes périodes, Matisse a toujours aimé les tons francs, qu'il a
été le premier à réhabiliter, en réaction contre les demi-teintes
des nabis et contre les coloris bitumineux des peintres
académiques. Mais Matisse a montré autant de maîtrise dans les
accords délicats de roses et de gris argenté des années vingt que
dans les contrastes heurtés de verts, de violets et de noirs qui
les avaient précédés, ou dans les somptueuses fanfares colorées de
la fin de sa carrière.
Peu d'artistes ont aussi pleinement dominé leur métier par leur
habileté manuelle. Cette étonnante habileté l'avait rendu comme
méfiant envers lui-même, et Matisse, dont l'oeuvre donne une telle
impression d'assurance et de certitude, n'a jamais cessé de
s'interroger sur son art et ses moyens ; il a multiplié les
esquisses et les recherches et a utilisé les techniques les plus
difficiles. Mais cet emploi de techniques très diverses, et le
respect de leurs exigences propres, ne nuit pas à l'unité de
l'oeuvre. Ainsi, la pratique de la sculpture n'est pas pour Matisse
caprice passager, mais exigence essentielle, et, à plusieurs
reprises, l'inflexion de son style apparaît dans le bronze avant de
passer dans la peinture. Son oeuvre de graveur et d'illustrateur
est également le fruit d'un travail persévérant. La technique du
papier découpé, qu'il utilise surtout à la fin de sa vie, lui
permet de réaliser pleinement une forme d'expression de l'espace et
du mouvement par des aplats nets, dont le principe se trouvait déjà
dans La Leçon de piano (1916) ou La Danse (1933), de la collection
Barnes. (Deux autres versions sont au musée d'Art moderne de la
ville de Paris.)
C'est à partir de 1947 que débute l'élaboration de la chapelle des
Dominicaines de Vence. Il est difficile de dire si Matisse a voulu
seulement exprimer sa reconnaissance envers une religieuse qui
l'avait soigné ou bien témoigner, dans son langage d'artiste, de
l'évolution de ses convictions profondes. Il est certain en tout
cas que Matisse a pris la construction de cette chapelle tellement
à coeur qu'il a assumé la totalité du programme : dessin de
l'architecture, conception et exécution de toute la décoration et
de tout le mobilier, modèles des vêtements liturgiques ; le plus
surprenant est que ce peintre a fait ici appel à toutes les
techniques, sauf à la peinture : les seuls éléments colorés sont
les vitraux et les chasubles. Réussite éclatante, chef-d'oeuvre de
Matisse, cette chapelle est le parfait accomplissement d'une de ses
intentions les plus constantes : « Je veux, écrivait-il en 1908, un
art d'équilibre, de pureté, qui n'inquiète ni ne trouble, je veux
que l'homme fatigué, surmené, éreinté, goûte devant ma peinture le
calme et le repos. » Et, à propos de sa chapelle, il demandait, en
1950, presque dans les mêmes termes : « Je veux que ceux qui
entreront dans ma chapelle se sentent purifiés et déchargés de
leurs fardeaux. »
Au cours d'une carrière qui s'étend sur plus de soixante ans, la
thématique de Matisse reste d'une unité sans monotonie. En 1908,
Matisse écrit : « Ce qui m'intéresse le plus, ce n'est ni la nature
morte, ni le paysage, c'est la figure. C'est elle qui me permet le
mieux d'exprimer le sentiment quasi religieux que j'ai de la vie. »
Matisse n'a pas ignoré la nature morte ou le paysage, mais il ne
les a pas pratiqués avec la même constance que la figure, qui pour
lui ne se confond pas avec le portrait. Il a certes laissé un grand
nombre d'effigies de ses contemporains : si certaines sont très
belles, d'autres ne donnent pas l'impression que l'artiste y ait
mis le meilleur de lui-même. Et doit-on appeler portraits des
tableaux posés par des proches (sa femme, ses enfants) ou par des
modèles professionnels, où la recherche psychologique n'est pas le
souci dominant ? Pour lui, comme pour Bonnard, une figure est
plutôt un être humain non individualisé, non caractérisé. Mais si
l'individu dans sa singularité le retient peu, l'homme en tant que
possesseur de l'univers est peut-être le thème majeur de son oeuvre
: un homme heureux, exprimant la joie de vivre et la sérénité, au
milieu de beaux objets, de belles fleurs, d'une végétation
somptueuse. Le thème de la fenêtre, Matisse l'a sans doute aimé en
raison des effets de lumière et de transparence qu'il permet, mais
peut-être aussi parce qu'à travers une fenêtre nous est donné le
monde non pas tel qu'il est, mais tel que l'homme le saisit.
Étude critique, répartition
des oeuvres
L'étude critique de l'oeuvre de Matisse pose peu de problèmes, sauf
pour la période 1898-1904. Les tableaux anciens dont la date est
certaine sont rares, et l'imprécision de la chronologie reflète le
caractère encore expérimental et parfois tâtonnant des recherches
de Matisse avant le fauvisme.
A partir de 1905, les dates de la plupart des oeuvres sont
assurées. Parallèlement, Matisse, qui jusque-là a connu une vie
difficile, voit peu à peu arriver le succès. Il va bénéficier des
achats, et parfois de commandes déterminées d'amateurs étrangers,
américains (les Stein sont les premiers en date) et russes
(Stchoukine et Morosof, dont les riches collections sont passées
dans les musées soviétiques). D'autres amateurs allemands, danois
(Rump), suisses, américains (Cone, Barnes...) ont rassemblé, dès
avant la Seconde Guerre mondiale, des ensembles considérables.
Souvent les tableaux ont quitté la France à peine terminés et ont
pris place dans les musées du pays de leur premier acquéreur.
Il reste en France peu d'oeuvres importantes de Matisse ; malgré
sept ou huit achats anciens, ce n'est vraiment qu'après 1945, à un
moment où la plupart des oeuvres étaient parties pour l'étranger,
qu'achats et dons ont permis au musée national d'Art moderne de
constituer un ensemble significatif. Les collectionneurs français
ne se sont guère, à de rares exceptions près (par exemple, la
collection M. Sembat, donnée au musée de Grenoble), passionnés pour
Matisse, et c'est principalement à la générosité de l'artiste ou de
sa famille que sont dus les quelques ensembles existant en
province, notamment à Nice et au Cateau, où des musées lui sont
spécialement dédiés - sans oublier, bien entendu, la chapelle de
Vence.
Une influence
internationale
C'est évidemment parmi les fauves qu'il faut chercher les premières
traces de l'influence de Matisse. Sa forte personnalité, souvent
aussi une différence d'âge expliquent l'ascendant qu'il prit très
tôt sur ses amis Marquet, Manguin, Camoin, J. Puy. Parmi les autres
fauves, Braque ou Dufy ont volontiers reconnu leur dette, tandis
que Derain et Vlaminck ont cherché à la minimiser.
A partir de 1905, l'oeuvre de Matisse attire l'attention et
l'admiration d'artistes de tous pays. Le peintre munichois H.
Purrmann le fait connaître en Allemagne et organise à Paris un
atelier où Matisse enseigne à de nombreux élèves, parmi lesquels
Scandinaves, Allemands et Américains dominent.
Parallèlement, la présence d'oeuvres à des expositions
individuelles ou collectives à l'étranger devient de plus en plus
régulière, en Allemagne principalement, mais aussi en
Grande-Bretagne, aux États-Unis, en Russie. Les photographies, les
publications circulent. Les Notes d'un peintre , parues en France
en 1908, sont aussitôt traduites en allemand et en russe. A la
veille de la guerre de 1914, Matisse est reconnu universellement
comme un des maîtres de l'avant-garde. Toute la suite de sa
carrière ne devait que confirmer cette position et renforcer
l'influence qu'il a exercée sur les peintres de sa génération comme
sur les plus jeunes. Mais, pour les Français comme pour les
étrangers (les peintres de la Brücke, par exemple), il s'agit moins
d'imitations directes que d'impulsions indiquant la voie à
suivre.
Picasso, Léger, J. Gris, R. et S. Delaunay, R. de La Fresnaye,
Kirchner, Kandinsky, Jawlensky, Mondrian ont tous, à un moment ou à
un autre de leur carrière, été sensibles à l'apport de Matisse dans
le domaine de l'expression par la couleur ou dans celui de la
recherche d'un grand style linéaire et monumental. La jeune
peinture américaine lui doit aussi beaucoup, et les expositions
récentes, tant en France qu'à l'étranger, ont confirmé l'actualité
et la fécondité de l'oeuvre de Matisse.
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IV. 1940-1960 : Une littérature sans histoire
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