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C’étaient les années 60. Le charbon finissait de charrier ses largesses et encrasser les poumons de ses mineurs. Dans ses maisons alignées en direction de la mine et de son chevalet comme des flèches vers une cible il y avait un homme qui se mourait dans chacune d’entre elles. Mon parrain Stéphan qui avait épousé Marienka comme on épousait à l’époque un mineur pour ne manquer de rien attendait un miracle pour pouvoir respirer. Les assistances respiratoires ne sont arrivées que plus tard : bouteille d’oxygène reliée à un tube et un masque. Et l’attente de mourir pour être délivré enfin d’un tel fardeau. Sans assistance c’était bien pire. Je l’ai vu assis dans son lit la nuit car être couché n’était pas possible. Et cette cage thoracique qui se soulevait au bruit d’un soufflet de forge dans un sifflement incessant. Rien n’y faisait, l’air manquait sans cesse. Aller le chercher loin comme tenter de cueillir un fruit trop haut sur l’arbre et ne pouvoir le saisir. Mais l’homme avait un caractère trempé comme de l’acier trempé ! Il voulait ignorer son mal, l’aggravait à coup sûr mais comme tous les ignorants pratiquait la médecine de la guérison du mal par le mal. Et puis il y a les traditions du terroir, les coutumes des mineurs du Nord : du rhum dans le café le matin avant ” d’y aller “, la bistouille pour se donner du courage, du genièvre sur un sucre ou pour rincer sa tasse- le g’nief- pour tenir la bête en éveil et la conduire sur ses deux pattes une fois sortie de l’assomoir. Traditions qui perdurent même avec la silicose et quand on ne descend plus au fond pour se frotter avec la poussière du charbon et ses veines luisantes comme des filons d’or. Le mineur est un chercheur d’or qui meurt inassouvi. Et comme si tout cela ne suffisait pas, un paquet de gitanes ou de gauloises par jour ! Je ne l’ai jamais vu prendre l’air curieusement. Il n’allait pas au jardin. Toujours à l’intérieur à tourner en rond. Attendre la pension et faire des petits tas. Les billets de dix, de cinquante… et ces yeux envieux d’enfant enfin satisfaits. Le prix élevé de l’or. Combien de descentes, de berlines, de marteaux piqueurs, de cages d’ascenseurs, de poussières, de sueur noire pour ces petits tas ? S’il avait pu les garder tous sans jamais les dépenser, il les aurait contemplés toute la journée ! Comme les jambons, les saucissons du samedi apportés par sa belle soeur , souvenez-vous. Stockés dans une cave sous la cuisine, sous une trappe caractéristique des vieilles maisons d’antan, ces victuailles gratuites auraient pu pourrir sans qu’il veuille les partager. Une plaie d’entendre Marienka proposer une collation à sa famille comme elle aimait à le faire avec toute l’élégance qu’elle avait héritée de sa gouvernance à Paris. ” Que nous restera-t-il “, ça me coupait l’appétit. Il n’y a pas que les riches qui soient égoïstes et radins. C’est sans doute le dernier sursaut de la vie quand on a perdu ses forces. Se raccrocher et crier au monde entier ce que l’on a gagné, ce qui nous appartient, être désagréable en choquant le plus possible, injurier peut-être son créateur, l’accuser de trahison ou se rendre désagréable pour se punir de ses faiblesses ? Allez savoir ce qui se passe dans la tête d’un condamné à mort ? Il était mon parrain, sensé me donner quelque chose de lui, m’indiquer une direction. C’est fait, il a bien rempli son rôle. Peut-être avait il compris que pour ne pas sombrer dans l’oubli il faut une originalité cruelle. Sans doute. Il n’était pas résigné, il y croyait même en colère et je lui trouvais , gamin que j’étais, une forme d’humour. Un jour qu’une visite s’annonçait par la fenêtre et que je regardais un match en noir et blanc avec lui, il me saisit par le bras et nous roulâmes sous la table. Il me fit signe de ne pas bouger. Les visiteurs nous avaient bien vu bouger dans la maison. Ils tapotèrent à la vitre mais n’eurent pas de réponse.”On sait que tu es là , on t’a vu , montre toi, allez ” mais ne reçurent pas de réponse. On resta planqué jusqu’à leur départ On les entendait maugréer, s’indigner: ” Et la télé c’est pour qui, pour le chat ? ” Stéphan ne voulait pas qu’on le dérange pendant son match. Nous n’étions que deux ce jour là dans la maison. Ma tante, elle, aurait convié les hôtes à la table !

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Commentaires

  • Vie de mineur, vie de misère mais pas toujours vie de malheur. Dans ma famille, du temps fort lointain de mon grand-père, la vie ne fut pas que malheureuse ou alors ma grand-mère l'embellissait pour me la raconter. Fort beau texte Gilbert.

    Merci pour ton partage

    Amitiés

    Josette

  • Bonjour Gilbert,

    Je pensais avoir commenté et non, c'est le précédent....!!

    Le parrain Stéphan, n'a peut-être pas toujours eu ce caractère si désagréable, il n'aurait pas été choisi comme parrain!

    Il était aigri par sa maladie.

    Merci Gilbert pour ce partage.

    Amitiés.

    Adyne

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