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Un chat nommé Brigand

 

  

Brigand était un autre de nos chats. Et son histoire mérite d’être racontée au même titre que celle des autres membres de la famille.  

Le jour où Maggy et Catherine nous amenèrent Brigand, leur comportement à toutes les deux était celui d’une mère et de sa fille qui s’efforcent de préparer l’époux et le père à un heureux événement, toutes exaltées encore par les congratulations d’un gynécologue  plus inconscient que méchant.

Brigand était visiblement de nationalité étrangère et elles se demandaient, la mère et la fille, comment il serait accueilli chez nous. D’évidence, Brigand était italien. De la deuxième génération sans doute, mais italien tout de même.

Maggy et Cathy l’avaient recueilli dans un quartier populaire dont la majeure partie de la population était d’origine maghrébine mais Brigand était tellement noir de poil, à l’exception de deux vibrisses blancs comiquement dressé l’un vers le haut l’autre vers le bas, qu’il ne pouvait être que latin. Son regard, j’imagine que le légendaire Rudolf Valentino, le célèbre cheik blanc des films de ma toute enfance, devait avoir le même. Mais qui se souvient encore du nombre de femmes qui se sont suicidées sur sa tombe? Leurs filles, j’imagine, se suicident ou se suicideront sur celle d’Elvis. A moins qu’aujourd’hui, il suffise d’une commémoration sous une caméra de la Télévision pour marquer sa douleur.

D’une douceur attendrissante, le regard de Brigand était typiquement celui des séducteurs napolitains mi crème-mi café. Quant à sa voix, elle n’avait rien de comparable à celle des chats indigènes. Ce n’était pas un miaulement mais un ensemble de sons placés si haut dans les octaves qu’elle vous faisait inévitablement penser à La Callas. Peut-être en plus faux mais je n’ai pas l’oreille musicale de sorte que je ne pourrais le jurer.

Et son allure, me direz-vous ? Là encore, il se distinguait des chats de notre connaissance. Ce n’est pas qu’il faisait autre chose, non. Il le faisait autrement. Sa queue par exemple était toujours dressée alors que chez d’autres, c’est souvent affaire de circonstances. Peut-être qu’elle lui servait d’antenne pour se déplacer dans la nuit ?

Il ressemblait à un petit navire qui naviguait sur le tapis du salon. Parfois, je me disais qu’on aurait du y attacher une oriflamme marquée de son nom ou d’une marque d’aliments pour animaux.

Brigand donnait l’impression de venir d’une autre planète. Autant Nabu et Pupuce, eux aussi faisaient partie de notre famille, appréhendaient le monde extérieur et revenaient régulièrement s’assurer que nous étions toujours là, autant Brigand ne pouvait se passer de la nuit. Dieu sait ce qu’il  faisait, il ne rentrait que pour manger ou pour de courts moments de repos.

Enfoui dans un fauteuil, immobile comme une pierre, il reprenait des forces avant de repartir pour des courses dont nous ignorions tout. Jamais, nous ne l’avons rencontré au milieu de la rue, dans le jardin d’un voisin ou chassant un oiseau qui s’envole.

- Il entretient deux foyers ; disait Maggy avec un peu de jalousie.

Si c’était vrai, il aurait du être gras or il était maigre comme un pruneau. Doublement repu, il aurait du être lourd, or sa démarche, si légère, était un singulier mouvement à peine perceptible qui le portait en avant. Seuls les médecins dans les hôpitaux, le regard pensif, la santé de leurs patients ne les quitte jamais, arpentent les couloirs de cette manière.

Vous vous souvenez de Jésus de Nazareth ? Au crépuscule, Jésus est assis parmi quelques apôtres. Une légère brume s’élève du sol encore brûlant de Palestine. Ils sont silencieux, un halo de spiritualité les entoure.

Lorsque Brigand, Nabu et Pupuce étaient réunis, étendus sur le tapis, se regardant d’un œil, méditant de l’autre, je ne pouvais m’empêcher d’évoquer cette scène dont il me semblait mais je peux me tromper, qu’elle dépeignait le message fondamental de ce Jésus, méditation et amour. D’ailleurs, vous l’avez peut-être remarqué vous aussi, la barbe de Jésus est aussi noire qu’est noir le poil de Brigand.

- Jésus ! Tu n’es pas un peu zinzin ?

C’est Cathy qui s’exprimait de cette manière en s’adressant à moi. Est-ce que toutes les filles s’expriment ainsi quand elles parlent à leur père ? J’ai de la peine à le croire.

Quoiqu’il en soit, pour en revenir à des propos plus sérieux, la personnalité de Pupuce, une de nos chattes, avait évolué de façon significative depuis que Brigand était parmi nous. Miraculeusement ? Je n’oserais l’affirmer. Mais elle prenait du poids, elle descendait plus souvent de l’armoire où naguère elle passait ses journées, son regard qui avait toujours exprimé de l’angoisse se faisait plus serein. Elle se frottait contre mes jambes et, de temps en temps, lorsqu’elle me savait derrière elle, d’un balancement alangui de la croupe, elle me faisait des avances. Lorsque ses yeux me fixaient, fendus comme deux blessures dont le sang serait vert, tendres comme ceux d’une femme qui s’abandonne au début de son mariage, c’est ridicule à dire, elle me troublait. Il m’arrivait de la caresser avec la sensation indéfinissable que quelque chose pouvait se produire tandis que Pupuce de son côté, je le devinais, semblait penser que c’était possible. Je crois que Pupuce était amoureuse de moi. Après sa mort, je l’ai avoué à ma femme, cela ne prêtait plus à conséquence.

Un jour Brigand n’est pas revenu. Nous avons affiché son portrait sur le tronc des arbres de l'avenue en dépeignant son caractère. Il est gentil mais il est fier comme un hidalgo qui serait italien. Il ne se laissera pas approcher sauf si vous lui tendez une écuelle de foie de veau haché ou une boite ouverte de whiskas royal. Si rien ne sert à rien, téléphonez-nous.

Une semaine plus tard, il est réapparu. Il était sur le seuil de l'entrée et Maggy avait à peine ouvert la porte qu'il s'était rué dans la chambre de Cathy où il a passé deux jours entiers sans descendre dans la cuisine.

Lorsqu'il est descendu, la démarche hésitante, inspectant tout l'appartement comme si c'était la première fois qu'il y venait, nous l'avons trouvé amaigri. Son regard nous a surpris. Comment dire? Un regard venu d'ailleurs. Nimbé de spiritualité. Ce regard, je l'ai vu quelques fois sur les portraits de mère Thérèsa.

Et tout est rentré dans l’ordre. 

 

 

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Commentaires

  • J'ai l'impression de la connaître un peu mais en la relisant j'y ai retrouvé des différences ....

    Bref, c'est tout simplement adorable. Et cet halo de spiritualité m'a tout particulièrement émue.

    Ce beau brigand, nous avons la nette sensation de l'avoir vu vivre.  Méditation et amour. .... Tout est là en effet.

    J'y ajouterai d'autres éléments, mais je vous en laisse la liberté.

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