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Survol de l'Essai en Belgique

On a beaucoup dit que la Belgique était une terre de poètes et c’est vrai. Dans un pays dont on assure également qu’il est matérialiste, les poètes (et même les bons poètes) sont légion. Mais si l’on regarde ce qu’a été l’essai dans la littérature française de ce pays depuis cinquante ans, on doit admettre que le genre a toujours été riche. Le caractère belge aime la réflexion. Plus, d’ailleurs, que la spéculation purement intellectuelle ou le goût de l’étincelle dans les idées. L’essai, ici, va souvent vers la synthèse large, le panorama, le dossier sérieux.

Léon Thoorens a même tenté et réussi un « Panorama des littératures » qui était une gageure. L’essai va vers les faits plutôt que vers l’effet. Et vers les perspectives du passé plutôt que vers les incertitudes du présent : on préfère attendre et voir clair.
Mais il faudrait, avant de tenter un semblant d’inventaire, distinguer les domaines qu’on y ferait entrer. L’essai critique y a sa place, naturellement, mais aussi l’analyse littéraire ; les portraits d’une époque, mais aussi les biographies ; l’évocation d’une terre ou d’un peuple, mais aussi l’histoire, qui a suscité beaucoup d’ouvrages importants (sans doute parce que l’histoire de Belgique est complexe et longue…).

Il faudrait même faire une place –où la trouveraient-ils ailleurs ?- aux philologues, aux lexicologues ou aux grammairiens. La Belgique romane n’a pas toujours eu bonne réputation ; on y a des accents et l’on s’y donne souvent des facilités coupables : wallonismes ou flandricismes parsèment le langage d’un grand nombre. Est-ce pour cela que la Belgique est riche en maîtres et en correcteurs de langue ? Entre les deux guerres, un savant jésuite, le P. Deharveng, publiait tous ses volumes de ‘Corrigeons-nous » avant que ne viennent Armant Bottequin, Joseph Hanse (« Dictionnaire des difficultés grammaticales et lexicologiques »). Depuis lors, Albert Doppagne et André Goose sont aussi des références de la plus sûr qualité. Quant à Maurice Grevisse , dont « Le bon usage » a connu dix rééditions, il est un spécialiste écouté aux quatre coins du monde francophone. Gide le cite souvent et Léopold Sedar Senghor fait de lui l’oracle du gouvernement sénégalais à Dakar.

L’histoire littéraire

Ici même, il faudrait faire quelques distinctions. La réflexion historique et la critique contemporaine se partagent une activité somme toute considérable. D’éminentes personnalités universitaires se sont attachées à des « moments » de la langue ou de la littérature dans le passé. Des médiévistes aux dix-huitièmistes, l’éventail est large.
Il faudrait même reprendre les choses plus loin. Jean Capart a été un des premiers égyptologues de ce siècle. Marie Delcourt (née en 1891) est un de ces esprits riches et originaux qui connaissent et révèlent admirablement l’Antiquité. « La vie d’Euripide », « Eschyle » ou « Périclès » sont des œuvres de premier ordre, et nul n’a atteint comme elle l’âme de l’hellénisme (si ce n’est Claire Préaux et son rayonnant humanisme, comme dans « La lune et la pensée grecque »). Mais elle parle aussi bien de « Plaute et l’impartialité comique », et l’Humanisme renaissant lui a inspiré une savoureuse monographie d’ « Erasme » et une belle édition critique de l’ « Utopie » de Thomas More.
Le moyen âge a été un des grands terrains prospectés par les universitaires belges. Il est certain que Maurice Wilmotte (1861-1942) a formé à Liège des médiévistes qui ont essaimé partout. Il n’est pratiquement pas une faculté de philologie romane, en Belgique, où l’on ne retrouve son influence ou son souvenir. Trente ans après avoir étudié les « Origines du roman en France », il s’attachait, en 1939, à « L’épopée française, origine et élaboration ».
Dans sa grande foulée apparurent notamment Georges Doutrepont (1868-1941) qui ressuscita « La littérature française à la cour des ducs de Bourgogne » ; Maurice Delbouille (né en 1903) qui étudia entre autres la « Genèse de la chanson de Roland » ; Rita Lejeune-Dehouse (née en 1906) qui multiplia avec une féconde liberté ses « recherches sur le thème : les chansons de geste et l’histoire » ; Fernand Desonay (1879-1973) qui parla si bien de « Villon » et se fit l’éditeur des œuvres d’Antoine de la Sale avant de passer à la Renaissance avec son monumental « Ronsard poète de l’amour », trois volumes pleins de science, de vie et d’idées neuves. Il est vrai que Fernand Desonay était multiple et brillant. Il se passionnait aussi bien pour « Le Grand Meaulnes », d’Alain Fournier, pour l’Italie (« Air de Venise », l’Amérique (« Air de Virginie »), et l’actualité rencontrée dans des centaines d’articles.
On retrouve le moyen âge chez beaucoup de chercheurs encore. Chez Julia Bastin, spécialiste de Rutebeuf et éditrice de la tournaisienne « Vie de saint Eleuthère », comme chez Edgar de Bruyne dans ses « Etudes d’esthétique médiévale ».

Le XVIIe siècle, qui fut une période sombre pour les régions de la future Belgique, a suscité chez Marcel Paquot un essai très documenté sur « Les étrangers dans les divertissements de la cour de Beauxjoyeulx à Molière ». A qui on ajoutera Henri Liebrecht (1884-1955) et son « Histoire du théâtre français à Bruxelles aux XVIIIe et XVIIIe siècles ».

Le XVIIIe siècle a eu de véritables initiateurs comme servais Etienne (1886-1952) qui a traité « Le genre romanesque en France depuis l’apparition de La nouvelle Héloïse jusqu’aux approches de la Révolution ». Servais Etienne professait aussi que l’histoire littéraire doit résister la tentation excessive de la biographie pour garder au texte son importance essentielle.
Roland Mortier fut certainement l’un des plus importants dix-huitièmistes. Son « Diderot en Allemagne », ses « Clartés et ombres au Siècle des lumières », sa pénétrante analyse de la « Poétique des ruines en France » sont des livres essentiels, et les études publiées sur le XVIIIe sous sa direction ou avec sa participation par l’Université de Bruxelles font de lui un des maîtres contemporains, un de ceux chez qui la brillante aisance de l’expression s’ajoute à la science la plus sérieuse.
Gustave Charlier (1885-1949) avait été le disciple de Maurice Wilmotte avant de former Roland Mortier et plusieurs générations universitaires ; ses curiosités allaient « De Ronsard à Victor Hugo » ou « De Montaigne à Verlaine », mais son ouvrage majeur restera « Le mouvement romantique en Belgique ».
Le Romantisme, Raymond Pouillart l’a étudié dans « Le Romantisme de 1869 à 1896 ». D’autres l’ont inclus dans des synthèses élargies ou ont suivi ce qui est sorti de lui par mutation ou par réaction. Ainsi Gustave van Welkenhuyzen (1900-1975-, attiré par la projection des grands mouvements français en Belgique : « L’influence du naturisme français en Belgique », « J. K. Huysmans et la Belgique », sans oublier tout ce qu’il a consacré à Camille Lemonnier ou à Charles Van Lerberghe. Sur Van Lerberghe, les travaux scientifiques de Jean Guillaume sont établis avec beaucoup d’exigence.
Grand poète autant que grand critique, Robert Vivier (né en 1894) s’est révélé par « L’originalité de Baudelaire », et des recueils comme « Et la poésie fut langage » allient merveilleusement l’expérience et l’analyse poétique.
Chez Emilie Noulet (née en 1892), trois œuvres majeures de la poésie française ont trouvé une exégète incomparable. « Paul Valéry » (1938), « L’œuvre de Stéphane Mallarmé » (1940) ou « Le premier visage de Rimbaud » (1953, réédité en 1974) sont des ouvrages qu’on ne peut ignorer. Mais Emilie Noulet a étudié aussi « Le ton poétique », plus divers dans son objet, et elle s’est passionnée aussi bien pour Jean Tardieu.
Paul Champagne s’est voué à l’étude de la poésie, et surtout à un écrivain belge qui captait, dans son château d’Acoz, les feux déclinants du romantisme, Octave Pirmez. Il lui a consacré plusieurs livres fervents.
De beaux travaux ont été dédiés à Benjamin Constant par Maurice Delbouille et par Arnold de Kerchove. « Genèse, structure et destin d’Adolphe » pour le premier, « Benjamin Constant ou Le libertinage sentimental » pour le second, disent par leur titre seul la différence d’optique. Jeannine Moulin a scruté avec beaucoup de sagacité « Gérard Nerval », « Les chimères », puis « Guillaume Apollinaire ou La querelle de l’Ordre et l’Aventure », avant de vouer à la poésie féminine un labeur extrêmement fécond avec « Marcelline Desbordes-Valmore », « Christine de Pisan » et « Huit siècles de poésie féminine » qui est une somme extraordinaire.
Grand linguiste, Joseph Hanse a consacré une bonne partie de ses travaux à Charles de Coster dont il a assuré l’édition critique –et définitive- de la « Légende d’Ulenspiegel », puis à Maurice Maeterlinck dont il a établi l’édition critique des « Poésies complètes ».
On ne peut ignorer ici les comparatistes et les spécialistes de littérature étrangère. Lucien-Paul Thomas (1880-1948) a laissé son empreinte d’hispanisant sur ses étudiants et sur des poètes comme Fernand Verhesen ou Edmond Vandercammen. Etienne Vathier (1894-1968) l’a fait aussi par ses travaux sur Calderon, Unamuno ou Lorca. Paul de Reul (1871-1945) a fait connaître et aimer « L’art et la pensée de Robert Browning », ou « La poésie de Wordsworth à Keats ». Paul Remy, lui s’est voué à l’occitan : « la littérature provençale au moyen âge ». Albert Baiwir a décrit « Le déclin de l’individualisme chez les romanciers américains », mais le livre date d’une bonne trentaine d’années. L’essai d’Albert Gérard, « Les tambours du néant, va de Hawthorne à James Baldwin. Il s’impose par sa profondeur, son ouverture et son style : c’est une des meilleures œuvres traitant de la littérature américaine contemporaine. Quant à Jean Weisberger, on lui doit une excellente initiation : « Formes et domaines du roman flamand ».
Raymond Trousson, lui, choisit des thèmes qui embrassent plusieurs cultures : « Le thème de Prométhée dans la littérature européenne ou Voyages aux pays de nulle part », un essai sur le thème de l’Utopie.
Il est juste de rappeler ici un homme qui a toujours vécu en marge de l’université comme des milieux établis et qui, exceptionnel autodidacte, a révélé entre les deux guerres les auteurs du nouveau théâtre et le théâtre de pays inconnus. Camille Poupeye, avec « Dramaturges exotiques », a été un étonnant précurseur.

L’essai littéraire

Arrivés dans une zone où l’histoire littéraire et l’essai littéraire mêlent leurs courants, nous sommes aussi plus près de la littérature considérée hors de son histoire.
Des noms et des titres se présentent. Ils indiquent un élan, un choix personnel, parfois une vraie passion. Ainsi Lucien Christophe (1891-1974) qui a donné son âme à Péguy dans deux livres : « le jeune homme Péguy » et « Les grandes heures de Péguy », tout en nous laissant aussi, outre ses poèmes, un « livre de raison » émouvant et serein : « Où la chèvre est attachée ». Ainsi de Léopold Levaux (1892-1956) qui a voulu dire tout ce qui le liait à « Léon Bloy » et qui a médité « Religion et littérature ». Ainsi d’Hubert Colleye, lui aussi proche de « L’âme de Léon Bloy » et qui a rassemblé le fruit de ses lectures dans les volumes d’ « Idées du temps », tout en chantant « La poésie catholique de Paul Claudel ». Ainsi Adrien Jans (1905-1973) qui a été parmi les premiers à analyser « La pensée de Jacques Rivière », ou « Jules Supervielle », et qui a répandu sa connaissance des hommes et des livres dans des milliers d’articles. André Vandegans, lui, s’est penché sur « La jeunesse littéraire d’André Malraux », et David Scheinert sur des « Ecrivains belges devant la réalité ».
Marcel Lobet (né en 1907) est le type même de l’essayiste. Attiré un moment par l’étude de l’Islam (« L’Islam et l’Occident », « Au seuil du désert »-, il est entré ensuite dans une étude profonde de la littérature européenne vécue comme une aventure de l’âme. Il s’attacha aux « Chercheurs de Dieu », puis à « La science du bien et du mal » où il compare l’écrivain à Adam taraudé par la tentation de la connaissance. Poussant son enquête jusqu’aux écrivains qui « s’avouent » sous le détour de la fiction, il a décelé leur vérité, mais aussi leurs ruses : « Ecrivains en aveux », « La ceinture de feuillage ».
Parlerons-nous ici des biographies littéraires ? Daniel Gillès en a conçu trois qui sont excellents parce que ces trois écrivain le passionnent : « Tolstoï », « Tchékhov » et « D . Lawrence ».
Nous parlions de passion. celle d’un homme et de la vérité a sûrement inspiré Roland Beyen quand il a écrit « Michel de Ghelderode ou La hantise du masque ». c’est une biographie critique qui a bouleversé la connaissance de Ghelderode. Roland Beyen l’a complétée ensuite par un « Ghelderode » où l’œuvre est revue avec la même acuité. L’auteur de « fastes d’enfer » a d’ailleurs beaucoup inspiré la critique de ce pays. Il est nécessaire de signaler ici, par exemple, Jean Francis et « L’éternel aujourd’hui de Michel de Ghelderode », Jean Stévo et « Office des ténèbres pour Michel de Ghelderode », ou tout récemment Albert Lepage et « L’énigme Ghelderode ».
La passion de Charles de Trooz (1905-1958), c’était de trouver les secrets du talent à travers une analyse éblouissante qui se donnait un air de jeu supérieur pour masquer une connaissance scrupuleuse –puis de communiquer ce qu’il avait trouvé. Les étudiants qui ont reçu ses leçons à Louvain ne l’ont jamais oublié. Mort trop tôt, il n’a laissé, en dehors d’un souvenir exceptionnel, que deux livres, mais superbes : « Le magister et ses maîtres » et « Le concert dans la bibliothèque ».
Chez Robert Goffin (né en 1898), la poésie est une vraie respiration, mais il aime aussi à parler des poètes (« Entrer en poésie », « Rimbaud vivant », « Mallarmé vivant », et il le fait avec chaleur, comme lorsqu’il parle du jazz qui l’a conquis très tôt (« Aux frontières du jazz »).
Nelly Cormeau avait livré une intéressante « Physiologie du roman » avant de se pencher sur « L’art de François Mauriac » dans un essai que Mauriac lui-même appréciait beaucoup.
Pol Vandromme (né en 1927) a un champ d’action et un ton que nul ne pourrait lui disputer. Ennemi de la philosophie et des idées de gauche –parce qu’il les trouve souvent confuses…- il a créé vraiment cette « Droite buissonnière » qu’il a donné comme titre à un de ses livres. Il a parlé de Maurras, de Drieu La Rochelle. Il a le ton de la formule insolente, de l’emporte-pièce et d’une alacrité qui irrite certains, mais qui fait parfois du bien…
Les plus vastes desseins critiques, en dehors de Georges Poulet que nous retrouverons un peu plus loin, sont ceux de deux Belges dont l’un vit à Paris et l’autre à Rome. Installé dans les meilleurs bastions de la presse parisienne, poète et romancier, Hubert Juin souffle sa science critique aux quatre coins de l’horizon. Il sait tout, il a tout lu –très bien- et l’allégresse de son écriture donne à ses essais une vitalité fascinante. Il a écrit sur « Pouchkine » ou « Aragon », mais des livres comme « Les incertitudes du réel » ou « Les libertinages de la raison », rendent mieux justice à son étonnante mobilité. Choix des auteurs, souplesse des thèmes, virtuosité des rapprochements : c’est vraiment de la critique libre, intelligente et passionnée à la fois. On la rencontre encore dans deux ouvrages plus récents : « L’usage de la critique » et « Ecrivains de l’avant-siècle ». De Rome, où son travail se fait au Vatican, Mgr. Charles Moeller continue une énorme entreprise qu’il appelle globalement « Littérature du XXe siècle et christianisme ». Après une très belle réflexion sur « sagesse grecque et paradoxe chrétien ». Charles Moeller s’était donc lancé dans une confrontation entre une littérature et un christianisme qui paraissent se rejeter si durement depuis trente ans. Non point pour condamner ou pour « convertir » des auteurs malgré eux : pour écouter, jusqu’au plus secret de lui-même, un dialogue qui passe sans cesse de la rupture à l’appel. Personne peut-être n’a interrogé avec plus d’honnêteté, plus de scrupule, Gide, Sarte, Albert Camus ou Sagan. Charles Moeller est un lecteur exceptionnel qui ouvre les yeux de ses lecteurs. refusant tout cloisonnement, toute approche superficielle ou préconçue, il a ausculté comme personne l’âme de la littérature d’aujourd’hui.
Nous voici au seuil de ce qu’on pourrait appeler la Nouvelle Critique. Comment ne pas citer d’abord, avec la plus totale admiration Georges Poulet (1902) ? Georges Poulet a apporté à l’exercice critique une vision transfigurée et une technique dont toute la Nouvelle Critique devait faire son profit. Prenant la totalité d’une œuvre pour en casser les lignes habituelles et la réduire à ses plus infimes éléments, il la reconstruit ensuite selon les lignes que l’œuvre suggère. « L’acte critique est celui par lequel, à travers la totalité d’une œuvre relue, on découvre rétrospectivement les fréquences significatives et les obsessions révélatrices. » Les tires de Georges Poulet, d’abord énigmatiques, prennent alors leur signification insolite : « Etudes sur le temps humain », « Les métamorphoses du cercle », « Mesures de l’instant », « La conscience critique ». Ennemi des ruptures, créateur de mutations, Georges Poulet est vraiment un des plus importants essayistes de ce temps. Peu de gens savent qu’il est Belge, car il a enseigné à Edimbourg, à Zurich et à Nice. Il fallait le souligner.
L a génération qui le suit a vu s’affirmer Albert Henry attaché au langage dans « Amers" de saint-John Perse, une poésie en mouvement » ; ou Madeleine Defrenne avec « Odilon-Jean Périer ». Elle a vu naître Maurice-Jean Lefebve avec « L’image fascinante et le surréel », où le structuralisme est une étape vers l’œuvre surréelle dont l’œuvre réelle serait le reflet ; elle a vu monter Jean Terrasse avec « Le mal du siècle et l’ordre immuable » ; elle a vu s’épanouir René Micha qui cherche moins les grands ensembles que les découvertes individuelles dont il parle sans système, mais avec une précision magique : « Pierre-Jean Jouve » ou « Nathalie Sarraute » ; elle a vu apparaître, et partir trop tôt, François Van Laere qui avait pratiqué avec une généreuse maîtrise « Une lecture du temps dans La Nouvelle Héloïse ». de cette génération se détache aussi Robert Frickx qui, sous le nom de Robert Montal, a publié des études sagaces sur René Ghil, Lautréamont ou Rimbaud.
La plus jeune génération a déjà ses chefs de file : Jacques Sojcher avec « La démarche poétique », François Pire avec « La tentation du sensible chez Paul Valéry », Jean-marie Klinkenberg avec « Style et archaïsme dans la légende d’Ulenspiegel de Charles de Coster », Françoise Collin avec « Maurice Blanchot et la question de l’écriture ». L’écriture ou la littérature ? On sait que c’est le débat même de notre temps.

La morale et la pensée

Les essais de Maeterlinck (1862-1949) ont été longtemps célèbres : « La sagesse et la destinée », « Le trésor des humbles », « Le grand secret ». Ils n’ont pas engendré une continuité du genre en Belgique. L’essai religieux, lui, a connu une figure éminente et originale : dom Hilaire Duesberg (1888-1969). Attaché à la Bible, nourri d’un humanise où entraient le don de la forme et la grâce du sourire, il a transfiguré « Le roi Hérode » ou « Les scribes inspirés ». Une pensée laïque, d’une égale noblesse, habitait Maurice Lambilliotte à la recherche de « L’homme relié », tandis que Roger Bodart délaissait parfois la poésie pour des essais où dialoguent les hommes ou les civilisations : « Dialogues africains ».
Un nom nous vient ici qui aurait pu figurer à peu près partout et qui est celui d’un des plus grands écrivains d’aujourd’hui : Suzanne Lilar. Venue du théâtre à l’essai, douée d’une magnifique richesse intellectuelle et d’un style d’une souplesse prodigieuse, elle s’est penchée sur des questions essentielles où le mythe éclaire et façonne la vie concrète. Dans un livre-clé comme le « Journal de l’analogiste », elle analyse les rapports entre l’art et la vie, le cycle d’échanges et de perceptions qui devient la pulsation du monde.
Dans « Le couple », Suzanne Lilar élargit sa démarche, allant de l’altérité passionnément assumée à l’unité dans la différence. Cette réhabilitation rayonnante de la chair et de l’âme qui s’accomplissent ensemble, elle la confronte avec une sorte de contre-exemple, « A propos de Sartre et de l’amour », puis avec la revendication féminine de Simone de Beauvoir, qui nie le couple : « Le malentendu du deuxième sexe ». Quant à son plus récent ouvrage, « Une enfance gantoise », c’est une exploration que Suzanne Lilar mène de son enfance à travers quelques thèmes : le beau, le sacré, le langage, etc. Toutes ses idées essentielles se regroupent dans ce superbe retour aux origines.

L’essai sur l’art

Pays de peintres, la Belgique est aussi, tout naturellement, un pays d’historiens de l’art. Chez certains, l’humanisme regroupe art et littérature. Ainsi de Gaston Colle (« Les éternels », « Les sourires de Béatrice ») ou de Gustave Vanzype qui parle des peintres en écrivain. Ou, en plus moderne, de Jean de Beucken avec « Cézanne ».
Il en va autrement de Charles Bernard (1875-1961) qui affûtait sa plume dans le journalisme le plus vivant et se jetait dans les batailles artistiques avec un insolent humour : « Les pompiers en délire » a fait date en 1929, comme, dans un autre registre, « Esthétique et critique » en 1946. cet Anversois avait été précédé par un Liégeois Arsène Soreil, avec « Introduction à l’histoire de l’esthétique en France », plus classique, qui parut en 1930 et fut rééditée depuis lors. Paul Fierens (1895-1957) aura été pendant vingt ans, le maître de la critique d’art. de « Van Eyck » (1931) à « Van Gogh » (1947), sans oublier les synthèses admirablement mûries de « L’Art flamand » et des « Grandes étapes de l’esthétique », il a montré une connaissance devenue culture, une ouverture devenue richesse, qui lui ont donné une autorité considérable.
Chez Paul Haesaerts (1901-1955) l’allure est plus mobile, plus caracolante, mais la science et la pénétration s’allient dans de nombreuses monographies ou dans des « ensembles » comme « L’école de Laethem-Saint-Martin » ou « Constantes de la peinture en Belgique ».
Faut-il ajouter que des génies comme Bruegel ou Rubens ont suscité de nombreux ouvrages ? On pense au « Bruegel » de Franz Marijnissen ou à celui de Bob Claessens, au « Rubens » de Léo van Puyvelde, au superbe « Rubens et son temps » de Roger Avermaete.
N’oublions pas la musique dans un pays toujours riche en musicologues (Ernest Closson, Charles van den Boren), où Robert Wangermée a si largement traité « La musique flamande au XVe siècle » ; et Jacques Stehman, si joliment élaboré l’ « Histoire de la musique européenne ».

L’histoire et le monde

Si l’Histoire, en Belgique, a de glorieux ancêtres comme Froissart ou Commynes, si elle a refleuri après la naissance officielle du royaume en 1830, nul ne niera l’extraordinaire influence d’Henri Pirenne (1862-1935) qui est un peu le père de l’Histoire moderne en Belgique
Une magnifique génération d’historiens l’a escorté ou suivi dans toutes les universités et les grandes maisons d’enseignement. A Louvain, Léon Van der Essen avec un « Alexandre Farnèse » qui est un monument, et Charles Terlinden, qui a publié pendant plus d’un demi-siècle et dont l’ « Histoire militaire des belges » et « Charles-Quint empereur des deux Mondes », sont des ouvrages décisifs ; à Gand, François L. Ganshof, avec « Qu’est-ce que la féoda

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