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SEL MARIN

Sel marin

Les cheveux ébouriffés par un vent continu et glacial, les yeux plissés pour me protéger du blizzard d’hiver qui nous chatouillent depuis une semaine, juste après les fêtes de fin d’année, je bas le pavé. La température fidèle à la saison provoque un frisson dans le cou, mes poils s’hérissent me signalant qu’on est mieux à l’intérieur et que je ne suis pas obligé de leur faire subir l’épreuve de l’eau à 7°C pour un énième exercice. Je continue à marcher tranquillement dans l’allée entre deux bâtiments identiques à une flopée d’autres placées près des quais, eux-mêmes accostés de frégates et de chasseurs de mine. Un ensemble qui constitue une base navale en bord de mer du Nord à Zeebruge.
Je pouvais deviner tous les autres élèves en train d’écouter les instructeurs de différentes disciplines, comme ceux de l’armement, les cuistots, les sous officiers de pont, les cours en classe chauffée devant leur syllabus rêvant déjà de voyage et espérant peut-être croisé encore un nautilus versus 2011 ou une Moby Dick pour avoir une belle histoire de mataf aventurier à raconter aux femmes rencontrée à chaque escale, ou à la famille au retour d’un périple de quelques semaines ou quelques mois selon la mission.
Je progresse bras ballant, une main chargée de ma paire de palmes noir, noir comme tout le matos d’ailleurs, mon masque et mon tuba et l’autre paluche serrant une ceinture de plomb d’environ 6 kg pour équilibrer mon poids et contrer la poussée de l’eau de mer qui me ramènerait en surface. Evidemment je portai une tenue de néoprène d’un centimètre d’épaisseur pour embellir ma silhouette de mythique homme grenouille.
Bien au chaud dans ma combinaison malgré la température extérieur de 5°C je poursuis mon cheminement vers cette merveilleuse image digne d’une carte postale du Nord de la Belgique. Des classes de cours on verrait une ombre d’1,83 m doté d’un corps athlétique et beau gosse type méditerranéen se diriger vers des navires de guerre au repos devant lui. Des monstres de métal gris, mitrailleuses orientées pleine mer pour contempler tel un marin aguerri l’horizon se dispersant dans des souvenirs d’exploit à travers une tempête à 11 beaufort, ou les pensées ancrées dans des lieux féériques d’un calme plat et d’une splendeur d’île paradisiaque.
De côté, j’aperçois hormis celui qui est devant moi, une frégate deux fois plus grande devant lui à ma gauche. Au loin de l’autre côté du quai, deux chasseurs de mines dont un se prépare à lever l’ancre. Des navires commerçants hauts comme un immeuble parfois passent à l’arrière rendant presque ridicule nos petits guerriers militaires. Comme quoi la taille, David contre Goliath l’a prouvé, petits mais d’une efficacité qui n’est plus à démontrer comme dans les opérations Southern Breeze lors de l’invasion du Koweit par l’Irak en 1990–1991; ou UNIFIL II, ATALANTA missions anti piratage au large de la somalie en 2009.
J’empreinte la passerelle délicatement, bien que je sache nager, je n’ai franchement pas envie de provoquer la mauvaise joie de mon instructeur et encore moins sauter à l’eau et chercher vainement en apnée mon matériel qui m’aurait échappé des mains.
Me voilà à bord du Rosy, bercé par les claquements du pavillon arborant les fines bandes diagonales noir, jaune, rouge sur fond blanc, la croix de St-André au dessus de deux canons croisés dans le premier triangle supérieur et une ancre dans celui du bas. Les câbles, provoqués par le vent et pendant le long des mats utiles aux levés des couleurs, frappaient régulièrement provoquant un « Bling ! Bling ! » continu et presque mélodieux.
Je salue le pavillon fièrement et me rend à l’étrave par tribord. Ici le long de la jetée. Les instructeurs sont là, ils sont cinq, le maître instructeur et d’autres membres de l’équipage. Présents pour voir le nouveau en formation. On ne perd pas de temps et directement j’enfile mon gilet muni d’une mono de 10 litres. Rituel de vérification du matos obligatoire, masque, palme, tuba, détendeur connecté et fonctionnel, bouteille attachée, petite bouteille de sécurité sur le gilet, couteau au mollet, tout est en place. Cependant, un détail inquiétant subsistait, la pression de 50 bar seulement au lieu des 200 habituel affiché à l’écran du manomètre, cela signifie que je suis sur la réserve, dans le rouge. Dans ce cas, nous devons remonter d’urgence en surface si on le constate en pleine plongée. J’en conclu que l’exercice surprise est une descente sur réserve et remonter en gonflant le gilet avec la petite bouteille d’urgence.
Bien, pas de soucis, je connais la procédure et me sens confiant pour cette épreuve.
Je plongerai seul, donc à la ligne, un cordage autour de la taille maintenu par un autre plongeur en surface pour me diriger selon un code précis. Tiré autant de fois pour aller à gauche, pour attendre, ou autres… Je suis fin prêt, au bord de l’eau, un signe OK du pouce rejoint de l’index, et je saute.
Je me retourne pour faire face à l’étrave et mes futurs collègues. Un dernier « Ok » et un signe pour précise que je plonge, le pouce vers le bas et au revoir tout le monde. Je me gèle et merci.
L’eau s’incruste entre ma combinaison et ma chaire frissonnante, sensation de réveil instantanée et passagère, le temps que le liquide prisonnier entre les matières prennent ma température. Je n’y vois rien, sauf une couleur verdâtre, je dois placer ma main devant les yeux pour apercevoir le « S » blanc inscrit sur mon gant. J’observe mon profondimètre, un, deux, trois, dix mètres de profondeur. Mes palmes s’enlisent dans la vase de quelques centimètres. Je jette un œil sur mon manomètre pour scruter la pression présente dans la bouteille, toujours 50 b. Jusqu’ici tout va bien.
On me promène un peu sous l’eau et l’inspiration commence à se faire difficile.
Entre 0 et 5 b. Je m’en doutais, ça devient dur. Je signale en surface, en tirant sur mon cordage que je m’arrête, tire trois coups secs pour annoncer une situation d’urgence et que je vais remonter en surface.
Ma main gauche rejoint au ralenti ma bouteille de sécurité et je tente de l’ouvrir pour laisser passer l’air dans mon gilet provoquant ainsi ma remontée instantanément. Tout va bien. J’assure, essoufflé, mais j’assure.
Pas d’air dans la tuyauterie, rien ne passe, nulle part. Impossible d’enclencher cette foutu mini bouteille jaune sensée être ma copine, mon sauveteur attitré.
Je suis en manque grave, des spasmes abdominal m’empêche de commettre l’irréparable, ouvrir la bouche pour expirer un grand coup et sortir d’une apnée forcée. Mon organisme puise dans mes réserves mais combien de temps avant la syncope, mes poumons ont la taille de prune séchée, dans quelques secondes je lâche tout. C’est la fin pour moi, quel patate je fais, je me noie lors d’un simple exercice. Je commence à paniquer, j’oscille inutilement la tête de gauche à droite cherchant l’inutile dans le vide aquatique.
De l’air ! Au secoure ! De l’air ! Je n’en peux plus, sans le vouloir, effrayé j’ouvre la bouche et ingurgite une goulée de flotte salée comme jamais. Je résiste et avale sans autorisé la gourmandise provoquer une deuxième dégustation forcée d’un kilo de sel marin. Merde ! Je suis foutu. J’essaie avec ce qu’il me reste quelque part dans le torse de gonfler mon gilet en soufflant dedans par l’intermédiaire d’un embout en caoutchouc conçu pour. En vain rien n’y fait, pas de remonté et peut-être plus jamais. Ca parait idiot mais réfléchit, tu n’es pas encore mort !
Boum ! Une onde de choc légère, certes, me secoue comme une mouche dans un verre. Un flash blanc immaculé apparaît à ma gauche. Ce bruit me pétrifie. Sur terre j’aurais sursauté et serait resté figé mais ici, prisonnier de l’eau je n’ai que mon néoprène pour uriner dedans et mon cœur pour se retourner. Ma panique était bien accentué avec cette grenade d’entraînement juste pour rendre l’exercice plus vrai. Ma noyade l’était encore plus, ce bruit venant de nulle part sur le coup, m’empêche de me concentrer et santé, je rebois une petite tasse en dessert.
Je n’ai pas envie de crever ici, pas comme ça. Ferme les yeux ! Réfléchi vite et bien ! J’aurais plus envie de dire : « Respire un grand coup » mais je vais éviter. Je n’ai plus soif. Mes paupières agrafées, je me calme et sereinement retente d’ouvrir ma bouteille d’urgence car c’était le moment.
PCHHH !!!
Le miracle de la vie sous marine se fit. La bouteille vomi tout dans mon gilet et gonflé comme un ballon, je remonte en surface en quelques secondes au risque de déchirer mon gilet à cause de la pression accumulée sans avoir équilibré l’ensemble. Je n’en avais absolument rien à faire du matériel sur le coup, j’ai décidé de m’équilibrer en premier en prenant une giclée d’air, un vrai délice. Le summum. J’aimais la vie. Je flottais en surface et fis comprendre que j’avais connu mieux quand on me demanda si tout était « OK ». « BOF ! BOF ! Ai-je répliqué en secouant la main paume côté mer.
L’exercice terminé, le matériel rangé. Je retourne vanné en chambre pour ma pause.
Allongé sur le lit, yeux rivés au plafond, mains derrière la nuque, je compris non seulement qu’il n’était jamais trop tard pour réaliser nos rêves et donc aussi qu’à l’impossible nul n’était tenu. William Arthur Ward a dit : « Le pessimiste se plaint du vent, l’optimiste espère qu’il va changer, le réaliste ajuste ses voiles ». Chaque fois que j’aurai un relâchement je repenserai à cette scène. Une vraie motivation, un coup de booste incommensurable. Histoire d’ajuster pour garder le cap.
Au final, j’ai également et surtout indéniablement la certitude, la confirmation que l’eau de mer est extrêmement infecte. Chaque fois que vous utilisé du sel marin, mesdames et messieurs, quand vous concoctez un bon petit plat en famille, mettez en avec parcimonie.
Parole de mataf ! Toute voile dehors pour la vie !
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