Statistiques google analytics du réseau arts et lettres: 8 403 746 pages vues depuis Le 10 octobre 2009

Puissance évocatrice de la poésie

Selon Gaston Bachelard "un trait de l'image (poétique)suffit pour que nous lisions le poème comme l'échos d'un passé disparu".
Cette observation me paraît très juste. Ce we, confortablement installé dans mon divan, lisant les carnets 1954-967 de Jaccottet, je tombe sur ceci :"Le soir, tous les arbres, une brassée rose prête au feu".
Immédiatement, presque brutalement même, cette brassée rose prête au feu m'évoque un brasier et d'un coup, c'est un souvenir de ma jeunesse qui revient des profondeurs où il demeurait enfoui.
J’ai treize ou quatorze ans. Nous sommes en hiver ; le temps est froid et sec. Mon père, un de mes frères et moi débroussaillons un terrain qui appartient à la famille depuis plusieurs générations. Comme c’est alors encore l’usage dans ce coin reculé de la Famenne belge, le moindre arpent de terre porte un nom : ici, c’est le « Rond Pré ». Il n’a rien de rond : c’est un bout de terre parfaitement rectangulaire bordé par un ruisselet à sec en été et qui déborde fréquemment en hiver. Ses eaux sont boueuses mais son léger clapotis donne l’impression, en fermant les yeux, d’être dans un parc d’agrément. On le franchit en marchant sur deux planches incertaines qui débouchent sur l’autre berge envahie de hautes herbes d’un jaune sale, rendues raides et froides par le gel. Au passage, un peu de givre sur le pantalon et l’impression d’être retenu par une force invisible.
Le terrain, planté de peupliers qu’il faut élaguer, est encombré de broussailles que nous sommes venus nettoyer. A l’époque – j’ignore si c’est toujours le cas - les peupliers sont des arbres « de rapport ». Ils poussent vite et on peut en obtenir un prix convenable d’une fabrique d’allumettes de la région.
Aujourd’hui, nous en avons terminé : sur un grand tas de d’épineux tout secs, nous avons disposé les branches élaguées et un petit sapin que nous avons coupé. Mons père chiffonne plusieurs pages de journal qu’il bourre dessous avant de les enflammer d’une allumette qu’il ne lâche qu’au tout dernier moment, juste avant de se brûler le bout des doigts. Le feu se propage rapidement et bientôt, le brasier nous réchauffe. Dans la clarté du jour qui décline, il semble très coloré, rouge orange comme un soleil. Le bois crépite et surtout, ceci qui me revient le plus nettement : un sifflement enchante les flammes. Une branche de sureau, plus humide, exsude à son extrémité légèrement creuse, un peu d’eau et de sève mêlées : cela forme de petites gouttelettes qui aussitôt bouillonnent puis s’évaporent ou tombent dans le brasier dans un chuintement discret. Quand tout le bois est consumé et qu’il ne reste plus que des braises, mon père y enfouit des pommes de terre : il les retirera des cendres un peu plus tard, une fois cuites. Avec un petit peu de beurre, c’est délicieux. Dans le dialecte de la région que de moins en moins de gens pratiquent, cela s’appelle des « canadas pétés » .
Magie de la poésie qui a fait ressurgir l’ambiance d’un hiver de jeunesse endormi dans ma mémoire.

Envoyez-moi un e-mail lorsque des commentaires sont laissés –

Vous devez être membre de Arts et Lettres pour ajouter des commentaires !

Join Arts et Lettres

Sujets de blog par étiquettes

  • de (143)

Archives mensuelles