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Promenade dans un jardin japonais

Le jardin japonais, représentation épurée du cosmos
Le jardin japonais, représentation épurée du cosmos

Augustin Berque, né en 1942 à Rabat, est un géographe orientaliste, et philosophe français. Il est le fils de l'arabisant Jacques Berque (1910-1995) et de Lucie Lissac (1909-2000), artiste peintre, fille de Pierre Lissac. Élu en 1979 directeur d’études à l’Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS), il gardera ce poste jusqu’à sa retraite en 2011. Docteur honoris causa de l'université Laval, il remporta pour ses travaux de nombreuses distinctions. Il fut notamment le premier Occidental à recevoir, en 2009, le grand prix de la culture asiatique de Fukuoka. Ses travaux portent sur ce qu'il nomme l'écoumène, qu'il définit comme la relation onto-géographique de l'humanité à l'étendue terrestre, et refonde une mésologie pouvant être rattachée à une phénoménologie herméneutique. Il est, depuis 1991, membre de l'Academia Europaea et, depuis 2012, membre d’honneur de l’EAJS (Association européenne des études japonaises).

Dans Par-delà nature et culture, Philippe Descola montre que l'opposition entre nature et culture est propre à la mentalité occidentale. Dans le chapitre intitulé "Figures du continu", il se réfère au livre d'Augustin Berque, Le Sauvage et l'Artifice, le Japonais devant la nature (Gallimard, 1986) qui montre que la notion de nature ("shizen" en japonais) ne recouvre pas le même sens au Japon et en occident : "Shizen ne recouvre en aucune façon l'idée d'une sphère des phénomènes indépendants de l'action humaine, car il n'y a pas de place dans la pensée japonaise pour une objectivation réflexive de la nature, un retrait de l'homme par rapport à ce qui l'entoure." (Par-delà nature et culture, Gallimard/Folio essais, p.69)

"Le terme même par lequel le concept de nature est traduit, shizen, n'exprime que l'un des sens du mot "nature" en Occident, le plus proche de la notion originelle de Phusis, à savoir le principe qui fait qu'un être est tel qu'il est par lui-même, qu'il se développe conformément à sa "nature" (cf. la notion "d'entéléchie" chez Aristote). Mais shizen ne recouvre en aucune façon l'idée d'une sphère des phénomènes indépendant de l'action humaine, car il n'y a pas de place dans la pensée japonaise pour une objectivation réflexive de la nature, un retrait de l'homme par rapport à ce qui l'entoure. De même qu'en Nouvelle-Calédonie, l'environnement est perçu comme fondamentalement indistinct de soi, comme une ambiance où s'épanouit l'identité collective. Augustin Berque (Le Sauvage et l'Artifice, les Japonais devant la nature, Gallimard, 1986) voit dans la syntaxe du japonais un signe de cette tendance à gommer l'individuation de la personne, notamment dans l'effacement relatif du sujet grammatical au profit d'un milieu de référence où baignent le verbe et les sujets individuels. L'environnement doit ici être pris au pied de la lettre : il est ce qui relie et constitue les humains comme expressions multiples d'un ensemble qui les dépasse.

Un tel holisme permet d'éclaircir le paradoxe du jardin japonais. Comble apparent de l'artifice, ce haut lieu de la culture nippone ne vise pourtant pas à témoigner d'une domestication obsessive de la nature, mais bien à offrir au plaisir de la contemplation une représentation épurée du cosmos. Grâce à lui, les montagnes et les eaux, demeures sacrées des esprits et buts d'excursions méditatives, sont transportées en miniature dans les lieux façonnés par l'homme, mais sans perdre leur caractère ni opérer d'intrusion. Réduire le paysage aux dimensions d'un enclos, ce n'est pas capturer une nature étrangère pour l'objectiver par le travail mimétique, c'est vouloir retrouver dans la fréquentation d'un espace familier l'association intime avec un univers aux cheminements peu accessibles. L'esthétique paysagère japonaise n'exprime pas une disjonction entre l'environnement et l'individu, mais montre que la seule nature porteuse de sens, c'est celle, reproduite par les hommes ou animée par les divinités, où sont d'emblée visibles les marques des conventions qui la façonnent ; loin d'être un domaine de matérialité brute, elle est l'aboutissement culturel d'une longue éducation de la sensibilité." (Philippe Descola, Par-delà nature et culture, "Figures du continu", p.68 et suiv., Gallimard/folio essais, 2005)

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