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Mon pote Sthéphi !

Mon pote Stéphi !
Il a 31 ans, en fauteuil, et handicapé mental, il ne dit rien. Un jour, il a ri !

Stéphi continuait à balancer sa tête, le fauteuil lui, était immobile.  Un monstre froid fait d’acier chromé et de souffrances.

Les vacances sont faites pour se changer les idées et oublier la grisaille du bureau ou de l’atelier, élargir l’horizon de nos envies ou de nos espérances, et changer sa façon de respirer un air nouveau. C’est aussi oublier la télé, avec ses accidents d’avions ou de génocides aveugles dans un village d’Algérie. Oublier le CAC 40 et les pubs aussi stériles qu’encombrantes. Les vacances c’est fait pour voir tout en rose bonbon ou en bleu pastel, et faire des : Mmmmm que c’est bon ! A longueur de journées.

Seulement voilà…

Quand nous avons eu posé les bagages et enregistré nos identités à l’accueil du village de vacances, le gentil directeur (Non ce n’était pas le Club Méd) nous annonce avec un air doucereux mais sans appel :

- Dans la maison nous avons deux handicapés, un garçon et une fille, la fille est presque normale, elle se débrouille toute seule dans la journée, elle s’appelle C... Quant au garçon, lui c’est un handicapé mental lourd, il vit en fauteuil roulant sous surveillance constante de deux aides soignantes. Ils mangeront tous les deux aux repas de midi et du soir, et participeront aux soirées et à certaines sorties. J’espère que vous n’y voyez pas d’inconvénients ?

- Ben non ! Vous savez les vacances c’est aussi fait pour partager, non ? ... Dirent certains !

- Oui bien entendu, mais bon parfois pendant les repas ce n’est pas toujours évident…Enfin vous verrez.

En regagnant les chambres un doute planait sur nos esprits. Allons bon ! Un petit nuage gris semble nous suivre et persister à boucher l’horizon. Vous verrez ? Mais on verra quoi ?

Le soir vers dix neuf heures, dans ce centre de vacances, il est de coutume de partager quelques cacahuètes et autres gâteaux salés, arrosés d’un léger Pastis d’un jus de fruit ou d’un Kir, souvenir du chanoine du même nom. A notre arrivée dans la salle, Stéphi était déjà là, dans son fauteuil, la tête penchée sur le côté gauche comme détachée du corps, comme cassée de son attache naturelle. Puis brusquement elle revînt droite, en arrière cette fois, les yeux rivés au plafond de la tente de réception. Nous nous dirigeâmes vers le lieu des agapes et engagèrent la conversation avec nos futurs copains de séjour, mieux vaut fraterniser au départ, sinon on passe très vite pour un pisse froid ou un cadre supérieur qui tient à garder ses distances.

Stéphi continuait à balancer sa tête, le fauteuil lui, était immobile, un monstre froid fait d’acier chromé et de souffrances.

Le repas qui suivi nous mît en face d’une autre vie, une vie que nous n’avions jamais imaginée, une vie à 37° de température, c’est tout. Rien d’autre. Rien dans la tête de Stéphi, le vide absolu ou presque, le seul mot qu’il prononçait parfois n’était qu’une onomatopée, Houlala ! Cette courte phrase nous rappelait qu’un être vivant occupait un petit bout de notre espace, et qu’à l’approche de son fauteuil nous devions nous effacer.

- Papa qu’est-ce qu’il a Stéphi ?

- C’est un handicapé ma chérie, toi tu as dix ans, lui, en a un peu plus de trente, et dans sa tête il doit penser être encore dans le ventre de sa maman, alors tu comprends il faut l’aider à vivre avec nous, les « marchent debout » les « biens pensants »

- Ha !

La première semaine se passa à moitié sous le soleil et à moitié sous les orages. Nous ne participions pas trop aux sorties en groupe, privilégiant les « aventures » avec la carte IGN et le nez au vent, sans contrainte ni horaire à respecter. Le midi un léger casse-croûte devant un lac ou un groupe de marmottes, et vers dix sept heures en sens inverse, on reprenait le chemin.

Un soir de la deuxième semaine, une troupe de théâtre de marionnettes était au programme, « Dédé le Vampire ». Descendant de Dracula il avait perdu ses ailes, et amoureux d’une princesse il ne pouvait la rejoindre. Nous pensions assister à un spectacle classique de marionnettes, avec un comptoir derrière lequel étaient cachés les acteurs. Guignol en quelque sorte ! Mais quand nous eûmes pénétré dans la salle de jeux transformée en salle de spectacle pour cette occasion, une nouvelle dimension s’ouvrit devant nos yeux. Tendue de tissus noir sur les six côtés, la salle était méconnaissable, quelques meubles bricolés pour l’occasion, peints en noir eux aussi, une gaine flexible, noire également, et un petit cercueil de la même couleur légèrement entrouvert en plein milieu de la salle. Mais ce qui était le plus déroutant c’était la position des chaises pour les spectateurs. Où allaient évoluer les acteurs puisque nous étions assis au milieu de la salle…Dans le décors ?

Une des aides-soignantes amena Stéphi dans son fauteuil, le cou toujours tourné vers le plafond, C… était sagement assise au bout d’une rangée, le regard triste et fuyant devant cette nouvelle salle inconnue.

La petite veilleuse qui nous avait permis de nous installer s’éteignit . Le noir était total, une musique lancinante monta doucement à nos oreilles, et Dédé le Vampire apparu sous un petit projecteur. Au-dessus de Dédé dans un costume noir, une tête humaine à moitié dissimulée par un maquillage anthracite, donnait vie à la marionnette.

Dédé le Vampire cherche à acheter des ailles pour aller voir sa belle. Sa Princesse apparaît, la seule actrice de cette pièce qui soit habillée en blanc. La lumière s’éteint sur la Princesse laissant Dédé le vampire dans le halo blafard de son projecteur.

C’est à ce moment-là que Stéphi à poussé un, deux, trois cri…Hooo !! Puis Hiii !!! Puis Boo !!! Le spectacle dura presque une heure, à la fin de la représentation, Dédé le vampire fut irradié par Monsieur Soleil, son pire ennemi. Quand le couvercle du cercueil se referma sur Dédé, Stéphi se mit à rire, puis prononça pour la première fois de sa vie des mots jusque là nouveaux pour lui et pour ses accompagnatrices. Accompagnatrices qui ne semblèrent pas s’émouvoir de la situation, blasée sans doute. Seuls quelques spectateurs et la troupe de théâtre comprirent ce qui venait de se passer dans la tête de Stéphi ; Le spectacle en clair-obscur était entré dans son monde. Pour nous la scène se déroulait en inversion des couleurs, du blanc au noir et pour lui cette situation semblait naturelle. L’espace comme un temps suspendu entre imaginaire et réalité. La notion de volume en trois D, devenant linéaire dans le noir absolu.

Une nouvelle orientation pour ces jeunes acteurs venait peut-être de voir le jour, faire vivre des marionnettes dans le noir, pour que la lumière entre dans la tête de pleins de Stéphi.

Bienvenue mon gars, ceux qui «marchent debout» te saluent. C'était en Août 2002.

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Commentaires

  • Au fil des marionnettes, comme nous le faisions d'un cordon relié à deux pots de yoghurt, c'est l'art (parmi d'aiutres) de transmettre.

  • Merci Liliane ! 14 ans ont passé, mais je revis encore ce spectacle et ce "petit miracle" comme si c'était la semaine dernière. 

  • administrateur partenariats

    Wouaw !

    Quel texte !

    Je le vis, j'en frémis.

    Quelle intensité.

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