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administrateur théâtres

 play_461_k57a1483.jpg"Vous désirez quelques notes biographiques sur moi et je me trouve extrêmement embarrassé pour vous les fournir ; cela, mon cher ami, pour la simple raison que j'ai oublié de vivre, oublié au point de ne pouvoir rien dire, mais exactement rien, sur ma vie, si ce n'est peut-être que je ne la vis pas, mais que je l'écris. De sorte que si vous voulez savoir quelque chose de moi, je pourrais vous répondre : Attendez un peu, mon cher Crémieux, que je pose la question à mes personnages. Peut-être seront-ils en mesure de me donner à moi-même quelques informations à mon sujet. Mais il n'y a pas grand-chose à attendre d'eux. Ce sont presque tous des gens insociables, qui n'ont eu que peu ou point à se louer de la vie."

La  Salle des Voûtes du théâtre le Public accueille un  portrait éclaté de Luigi Pirandello (1867-1936) à l’aide de  figures emblématiques  issues  des nouvelles  de l’écrivain sicilien : « Je rêve, mais peut-être pas », « Ce soir on improvise », « L’homme à la fleur à la bouche ».  Une petite suite de cauchemars interprétée avec  talent de rêve par un trio de  comédiens capables d'allumer et de  projeter à merveilles ces personnages de l’absurde : Axel de Booseré, Jean-Claude Berutti (mise en scène et adaptation ), Christian Crahay (en alternance avec Lotfi Yahya) et Nicole Oliver.

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Une fois donnés en pâture au public, les thèmes  iront se balancer librement dans son imaginaire,  lui qui devient, s’il se laisse faire,  créateur à son tour,  tout autant  que l’est le metteur en scène lorsque celui-ci  construit sa rencontre avec le texte. Le fil rouge c’est un outrecuidant chef de troupe à la Berlinoise nommé Hinkfuss.

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Théâtre dans le théâtre, que voit-on sur l’écran noir de nos nuits blanches ?  L’amour, la jalousie, la possession, la dispute.  Le mystère ou le rêve dans la voix de cette femme voilée comme dans les tableaux de Magritte ? L’inversion des rôles puisque c’est Luigi qui fut en butte à la jalousie morbide de sa femme ? Un credo : l’énergie de l’acteur libère les doutes, les mensonges, les tricheries, la cruauté. La tyrannie des conventions sociales.  La fourbe tyrannie du mâle : « Il voulait lui faire une surprise…» La robe de strass couleur rubis alanguie sur le tapis vert de la salle de jeu ou sur la méridienne verte  flanquée d’un pouf  répond mollement, absente de l’embrasement, tout à son désir d’un collier de perles et à ses rêves d’amants. Le drame couve. Soudain la comédienne  prend le pouvoir et explose les artifices…à la manière d’Alice.Lewis Carroll? Déchaînement!   

Dans la tentative d’une représentation impossible, il n’y a néanmoins  pas de couture apparente entre les pièces accolées du jeu de miroirs…comme chez  Picasso et les autres de la même époque.

Heureux qui communique : on suit sur l’écran noir et blanc  le visage, le regard de Mommina, devant une fenêtre ouverte sur un paysage, Magritte encore. Rico, Le mari qui la séquestre  referme la fenêtre. Il ne veut plus qu’elle pense ou pire, qu’elle rêve. Prisonnière, elle lui échappe même s’il la brutalise.   Ses sœurs, restées libres font scandale: elles chantent en public. Pendant qu’elle raconte à ses deux fillettes, l’histoire de cet opéra qu’elle chantait avec sa famille, des souvenirs heureux ressuscitent sous forme de marionnettes. Bonjour les géants de la Montagne !  Elle se met à chanter et meurt devant ses filles, sous l’émotion qui l’étouffe. Rico Veri la découvre morte  et  repousse le cadavre du bout du pied. Cruauté : Il l’a trompée en allant  seul à l’opéra voir  l’œuvre chantée par une de ses jeunes  sœurs, Totina restée libre. Paradoxe de la comédienne : elle n’a plus de souffle et n’arrive pas à mourir… Le cauchemar ! Poignant.

4130556538.jpgOn s’égare encore, l’ombre de  Delvaux  ou de Marceau se profile-telle ?  Chargé de cadeaux pour sa famille,  un  personnage  plein de certitudes a raté son train de trois minutes. Il rencontre ce  malade qui porte une fleur funeste à la bouche…dévorante comme le nénuphar dans  l’Ecume  des jours.    Il  a besoin de s’attacher à la vie de gens qu’il ne connaît pas, pour ne pas mourir. «  Moi Monsieur, je m’accroche à la vie par l’imagination. J’imagine la vie des gens que je ne connais pas et c’est bon pour moi ! La vie on l’oublie quand on la vit … mais la vie Monsieur  … la vie … surtout quand on sait que c’est une question de jours … »  Cauchemar. Edgar Poe es-tu là ? Non c’est Pirandello, Luigi de son prénom. Paradoxal de son surnom.

Freud enfin, es-tu là ? Ou Marcel? "Dans les personnes que nous aimons, il y a, immanent à elles, un certain rêve que nous ne savons pas toujours distinguer mais que nous poursuivons."Le temps retrouvé. Voilà la visite de la mère, morte, coiffée d’un large chapeau impressionniste voilé. Scène où  le  fils  pleure sa propre mort en elle. Désespoir de la solitude. Pour elle il ne sera plus jamais le fils ! Elle ne peut plus jamais le penser comme il la pense! Bouleversant.

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Très beau théâtre de réflexion sur l’incommunicabilité, vibrant de références, foisonnant  de vitalité scénique et esthétique… toutes choses qui ne peuvent laisser indifférent. Art is life. Dixit Kandinsky. 

https://www.theatrelepublic.be/play_details.php?play_id=461&type=1

          

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Commentaires

  • administrateur théâtres

    09/02/2017

    Metteur en scène et comédien français, Jean-Claude Berutti a monté des pièces de Brecht, Ionesco, Molière, Tchékhov… Il a également dirigé deux des théâtres français les plus emblématiques : le Théâtre du Peuple de Bussang et La Comédie de Saint-Etienne.
    Vous avez pu le voir sur scène au Public dans « Confidence africaine » et cette saison nous le retrouvons dans « Moi Pirandello » qu’il met aussi en scène. Voici quelques-uns de ses Malins Plaisirs :

    (interview)https://www.theatrelepublic.be/event_details.php?event_id=175&c...

  • administrateur théâtres

    Critique de Christian Jade :

    Ca se dispute ferme dans les coulisses du théâtre, puis surgit un chef de troupe assez pitoyable qui va lier les quatre " sketches " qui vont suivre, où il jouera aussi  le rôle ingrat de l’amant, réel ou imaginaire ? Tout Pirandello est là. Entre rêve et réalité. " Je rêve mais peut-être pas " nous montre une femme rêvant que son amant pénètre chez elle par effraction et l’accuse d’avoir un autre... amant. Au réveil la scène devient plus agressive autour du cadeau classique, un collier de perles. Trente ans plus tard Harold Pinter poussera l’absurdité un pas plus loin en faisant de l’amant le mari lui-même jouant à l’amant. Au premier degré le tout sort du bon vieux vaudeville.

    On est donc pris entre rire et malaise et on râle sur ces clichés de femme trompeuse et intéressée lorsque l’actrice et l’acteur se révoltent pour nous et expulsent le chef de troupe " machiste ". On passe alors à un délicieux petit film en noir et blanc illustrant " L’histoire de Mommina " où la jalousie est centrale entre un mari et sa femme qui s’est toujours rêvée… cantatrice. En 20 minutes virtuoses on va du cinéma néo-réaliste à l’opéra et passant par le théâtre de marionnettes d’allure… asiatique !

    Et puis soudain fini de rire. Voici deux hommes dans un café près d’une gare : " L’homme à la fleur entre les dents ", la perle absolue de ce spectacle. Un homme seul, ou presque, face à l’angoisse de la mort. Une interprétation bouleversante d’Axel De Boosere, dont on avait presque oublié qu’il était d’abord un très grand acteur. Et une intelligente utilisation de la salle des voûtes du théâtre le Public dont les piliers figurent un hall de gare…imaginaire. Un grand moment de théâtre. Avec une ultime apparition, la mère de Pirandello/Berutti en dialogue fantasmé avec le fils.  Le jeu de miroirs tend à l’infini.

    Reste au public à glisser sa propre histoire dans ce kaléidoscope généreux, raffiné, hommage aux acteurs " distanciés " de leur rôle. Un texte qui date des années 20 où le " réalisme " bourgeois, au théâtre comme dans la peinture, était mis au ban après l’" hyper réalisme " de la guerre 14/18 : expressionisme allemand, futurisme italien, constructivisme, biomécanique, distanciation brechtienne… n’en jetons plus mais (presque) tout est là, sans lourdeur didactique. Berutti s’amuse et nous amuse en s’appuyant sur la scénographie raffinée de Rudy Sabounghi  et le jeu très solide de ses acteurs/acolytes : on redécouvre Nicole Olivier, incarnation sensuelle et rêvée de toutes les femmes, parfaite. Christian Crahay, plus à l’aise comme directeur comique  que comme amant, un peu trop rhétorique. Axel De Boosere ambigu, inquiétant, émouvant, dans son dialogue avec la mort. Berutti lui-même, serviteur un peu louche est  le vrai organisateur de ce manège entre rêve et réalité, hommage réussi à Pirandello.

    Moi, Pirandello " d’après le maître italien, m.e.s de J.C. Berutti au Théâtre Le Publicjusqu’au 11 mars.

    Christian Jade(RTBF.be)

    Interview de Jean-Claude Berutti (JCB)– Moi Pirandello par Christian Jade(CJ)


    Jean-Claude BeruttiJean-Claude Berutti - © Jean-Claude Berutti

    Interview de Jean-Claude Berutti (JCB)– Moi Pirandello par Christian Jade(CJ)

    CJ : Pirandello n’est plus guère joué en Belgique même " Six personnages en quête d’auteur " ou " Ce soir on improvise ". Or vous en proposez " Moi, Pirandello " comme une mosaïque de sketches. Pourquoi ?

    JCB : Le lien entre sa carrière de nouvelliste et sa carrière théâtrale ce sont les nouvelles dont il a fait des pièces brèves. J’avais envie de faire un spectacle sur " l’essence pirandellienne ". Je suis allé chercher dans chaque petite bouteille de parfum l’extrait le plus subtil du répertoire rose ou un peu mélodramatique. Dans le spectacle, cela s’appelle Histoire de Mommina. C’est un film qui est tourné de manière réaliste, un peu à la manière de Rossellini. Après je suis allé chercher un petit extrait d’un Pirandello que l’on ne connaît pas du tout en Belgique et en France et très peu en Italie. Il est inspiré du futurisme italien et surtout par l’expressionnisme allemand. C’est la première pièce du spectacle qui s’appelle Je rêve mais peut-être pas. Pirandello est un écrivain sicilien. Mais il a également été écrivain pour le théâtre allemand (durant les années vingt). Après je suis allé du côté du génie philosophique ou pré-absurdiste humoriste avec l’une de ses plus belles nouvelles, l’un de ses grands textes, L’homme à la fleur dans la bouche. C’est un peu le cœur du spectacle. Ensuite, je suis allé du côté autobiographique  via une rencontre post mortem entre Pirandello et sa mère. J’ai essayé de dresser un portrait de lui, et donc de moi. Je rêve aujourd’hui de monter une pièce qui s’appelle Ce soir on improvise. Mais  il faut vingt comédiens et  ce n’est pas avec l’argent d’une compagnie que l’on peut monter ce type de pièce. Par contre, le thème de " Ce soir on improvise " est un peu le fil rouge de l’ensemble de " Moi, Pirandello ".

    CJ : Vous parlez de " parfums ". Vous offrez au spectateur des réseaux ou des circuits bien différents. Par quoi s’assemblent-ils au niveau de la thématique ?

    JCB : Ils sont assez facilement identifiables. Il y a la jalousie, la passion de la jalousie et la passion de l’observation. Je fais en sorte que le public soit rapidement averti par le directeur de la troupe de ce qui l’attend. Le spectacle commence par un incident bruyant en coulisse et puis l’on entend les trois coups qui imposent au directeur de venir devant les spectateurs et de s’expliquer et qui donne le fil rouge du spectacle. Il est une sorte de Monsieur Loyal qui est remis en cause par les propres acteurs de la troupe. Ensuite la liaison se fait plutôt par des moments de suspension dans le temps théâtral. Certains moments sont presque remplis de vide. Il s’agit pour moi d’instants de respiration nécessaires au spectacle. A partir de ce moment là, le spectateur est invité à devenir autonome dans sa lecture. La fin de la soirée se termine par une sorte de tour de passe-passe dans lequel Pirandello est lui-même.

    CJ : Vous parlez de sketches. Le personnage qui nous mène d’une situation à l’autre semble pris entre rêve/fantasme et réalité. Comment fonctionnez-vous pour donner au spectateur le doute sur l’existence de ce qu’il voit sur la scène ?

    JCB : Tout d’abord, il y a le talent des acteurs qui est censé faire apparaitre des choses qui n’existent pas. Puis, à travers les quatre histoires du récit j’ai souhaité utiliser des techniques de théâtre radicalement différentes : le cabaret berlinois, le cinéma néoréaliste, l’art des marionnettes, etc. La deuxième histoire est un mélodrame qui évoque l’opéra. Derrière l’histoire de Mommina, il y a l’histoire du " Trouvère " de Verdi. Les marionnettes servent à avouer la modestie de l’effet imaginaire. La dernière scène raconte comment Pirandello, sans avoir assisté à la mort de sa mère, l’a malgré tout vu mourir dans une apparition. C’est la rencontre au sommet. Au théâtre, cela nécessite des tas de ressorts visuels. L’espace est pourtant relativement contraignant. Il faut faire apparaitre la maman de Pirandello en tant que femme-fantôme. Ensemble, ils ont une sorte de discussion dialectique sur ce qu’est véritablement un fils, ou plutôt à propos de ce que c’est que de ne plus être un fils une fois que sa maman n’est plus là. Ce texte est fondamental pour moi. Les subterfuges de cette scène sont théâtraux et spectaculaires. Cela n’a pas été facile au regard des limites que nous imposait l’espace scénique.

    Rappelons :

    Moi, Pirandello " d’après le maître italien, m.e.s de J.C. Berutti au Théâtre Le Public, jusqu’au 11 mars.

    Christian Jade(RTBF.be)

  • administrateur théâtres

    "Maintenant que tu es morte, je ne dis pas que tu n’es plus vivante pour moi : tu es vivante, vivante comme tu l’étais, revêtue de cette réalité même que de loin, je t’ai donnée en te pensant et vivante tu le seras ainsi toujours tant que je vrai. Mais tu vois, c’est que moi maintenant je ne suis plus vivant et ne le serai plus jamais pour toi. Car je ne peux plus me penser comme je te pense, tu ne peux plus m’avoir en affection comme je t’ai en affection. C’est bien pourquoi, maman chérie, ceux qui nous croient vivants croient pleurer leurs morts alors qu’ils pleurent une de leurs morts, une de leurs réalités : tu en jouiras toujours, toujours au sein de mon affection pour toi ; moi maman, au contraire, je n’en jouirai plus en toi. Tu es ici, tu m’as parlé : tu es vraiment vivante ici, je te vois. Je vois le froncement de ton front, le battement de tes paupières, parce que tu es ici devant moi une réalité vraie, vivante, respirante. Mais que suis-je moi, que suis-je encore maintenant pour toi ? Rien. Tu es et tu seras à jamais ma maman ; mais moi ? Moi, le fils, je l’ai été et ne le suis plus, ne le serai plus."
    L’ombre s’épaissit en ténèbres.

    Luigi Pirandello
    "Rencontre avec des caractères"

    ... et derniers mots du spectacle MOI PIRANDELLO

  • administrateur théâtres

    René Magritte, Les Amants (Amoureux), 1928, huile sur toile, 54× 73 cm, MoMA, New York

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