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Michel de Certeau, Le Jardin : Délires et Délices de Jérôme Bosch
Michel de Certeau, Le Jardin : Délires et Délices de Jérôme Bosch
Michel de Certeau, Le Jardin : Délires et Délices de Jérôme Bosch

"Des mois durant, errer dans cet espace clos nommé le Jardin des délices. S'y perdre. Non qu'il se creuse et qu'il échappe en ces profondeurs, cavités, grottes, tubes, repaires souterrains, caches sous-marines et obscurités sylvestres qu'il représente. Il est tout dans sa surface. Il s'offre entièrement à l'oeil que, de surcroît, il dote d'une vue plongeante, panoramique et totalisante, a bird's eye view. Il s'étale "en perspective" comme plus tard les plans tracés dans des Jardins de plaisir. A le parcourir, les rencontres se multiplient, plaisirs exquis de l'oeil en ses voyages, le rose d'un mégalithe, la silhouette d'un cueilleur d'oranges, les amoureux dans une cornue en forme de fleur, mais ces délices ponctuent des chemins privés de sens. Jouissances aveugles. Quel est ce lieu, locus voluptatis, comme d'autres jardins amoureux ou mystiques ? Que s'y passe-t-il ? Le tableau s'opacifie à mesure que se détaille la prolifique épiphanie de ses formes et de ses douleurs. Il se cache en les montrant. Il organise esthétiquement une perte de sens..."

"L'ailleurs a cent autres formes, depuis les amours à trois ou les agonies du désir, jusqu'aux grâces oiselières ou cavalières du carrousel. de ce pays, au terme de mes premiers voyages, je ne sais pourtant rien de plus, avançant comme un nageur vers le large. Je "pensais voir". En réalité, par l'effet d'une lente inversion, je suis regardé. "Les tableaux nous considèrent" (Paul Klee).  Une xylographie de 1546, reproduction ou plagiat d'un Jérôme Bosch, a l'innocence (peu boschienne) d'en instruire le spectateur par une légende : "Le champ a des yeux, la forêt des oreilles." Le Jardin regarde. Il est plein d'yeux qui "nous considèrent" (j'en ai compté au moins huit ou neuf). Partout le regard de l'autre surplombe. Le tableau ne donne pas une image dans un miroir (les miroirs sont rares et diaboliques chez Bosch), mais une inquiétante privation d'images, organisée par ce qui, d'interrogateur, en vient. Comme si, tout entier mué en sibylle à bouche close, en sphinx, il disait au spectateur : "Toi, que dis-tu de ce que tu es en croyant dire ce que je suis ?" Mais c'est trop déjà que lui supposer le statut d'une énigme, énoncé qui dit la "vérité dans la mesure, et seulement dans la mesure où il signifie ce qu'on lui fait raconter. L'esthétique duJardin ne consiste pas à fomenter les brillances nouvelles d'une intelligibilité, mais à l'éteindre." (Michel de Certeau, La Fable mystique, Le jardin : Délires et Délices de Jérôme Bosch, Editions Gallimard/tel, p. 71 et 99)

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