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Les Poèmes saturniens constituent le premier recueil publié par Verlaine, qui avait tout d'abord songé à l'intituler Poèmes et Sonnets. Les traits dominants de l'esthétique verlainienne - qui culminera dans les Romances sans paroles avant le retour, avec Sagesse, à des formes poétiques plus conventionnelles - y sont déjà très affirmés.

Après un poème liminaire qui explique le titre, le recueil s'ouvre sur un long "Prologue" en alexandrins consacré au poète, à la permanence de son art et au caractère sacré de sa mission: "Le Poëte, l'amour du Beau, voilà sa foi, / L'Azur son étendard, et l'Idéal, sa loi!" Vient ensuite une première partie, intitulée "Melancholia", que Verlaine avait sans doute songé un moment à isoler pour la publier en plaquette. Elle comporte huit poèmes, dont sept sont des sonnets et figurent parmi les textes les plus fameux du poète, notamment "Nevermore", "Après trois ans", "Lassitude" et "Mon rêve familier". La deuxième section, "Eaux-fortes", comprend cinq poèmes aux formes variées, certains, comme "Cauchemar" (II) et "Marine" (III), mêlant divers types de mètres, souvent impairs, conformément à "l'Art poétique" que le poète énoncera plus tard (voir Jadis et Naguère). La troisième partie, intitulée "Paysages tristes" et formée de sept poèmes, privilégie, ainsi qu'en témoignent certains titres, les moments de déclin: celui du jour avec "Soleils couchants" (I), "Crépuscule du soir mystique" (II), "l'Heure du berger" (VI); ou bien celui de l'année avec "Chanson d'automne" (V). La quatrième section, "Caprice", contient cinq poèmes, dont le ton humoristique va de la badinerie galante ("Femme et Chatte", I) à la satire ("Jésuitisme", II, "Monsieur Prudhomme", V). Vient ensuite une série de douze poèmes dépourvus d'un titre commun et non numérotés, de formes et d'inspirations diverses, généralement en alexandrins. Le recueil se clôt sur un "Épilogue", constitué de trois poèmes, dans lequel Verlaine dévoile sa conception de la création poétique.

Le poème liminaire définit en ces termes l'"influence maligne" qui préside à la destinée du poète: "Or ceux-là qui sont nés sous le signe SATURNE, / Fauve planète, chère aux nécromanciens, / Ont entre tous, d'après les grimoires anciens, / Bonne part de malheurs et bonne part de bile. / L'Imagination, inquiète et débile, / Vient rendre nul en eux l'effort de la Raison." Rien de romantique, toutefois, dans cette fatalité. Verlaine souligne avec ironie la distance qui le sépare par exemple d'un Lamartine ("Épilogue", III), et semble plutôt en accord avec l'esthétique parnassienne: "Ce qu'il nous faut à nous, les Suprêmes Poëtes / [...] A nous qui ciselons les mots comme des coupes / Et qui faisons des vers émus très froidement, / [...] C'est l'Obstination et c'est la Volonté!" (ibid.). L'ironie latente de certains vers invite toutefois à considérer avec circonspection une telle allégeance. En réalité, cette poésie ne ressemble à aucune autre et, en dépit du caractère composite du recueil et de la facture encore conventionnelle de certains poèmes, les Poèmes saturniens témoignent de l'originalité et de la modernité de la voix verlainienne.

Cette voix, le poète la caractérise lui-même dans "Sérénade": "Ma voix aigre et fausse." Privilégiant le déhanchement et la rupture, le vers se modèle au rythme des sons plus qu'il ne se plie à la logique du sens et engendre ainsi des harmonies inhabituelles, de surprenants effets de claudication syntaxique. C'est sans doute "Chanson d'automne" ("Paysages tristes", V) qui va le plus loin dans cette voie. Assonances et allitérations se mêlent pour engendrer un flux lancinant et grinçant à la fois. La brièveté des vers scinde la lecture, de multiples pauses retardant l'avènement du sens et laissant le poème dans un constant suspens: "Les sanglots longs / Des violons / De l'automne / Blessent mon coeur / D'une langueur / Monotone." L'angoisse, jamais nommée mais manifestée à travers diverses expressions - "Tout suffocant", "Je pleure" - est ainsi d'autant plus efficacement communiquée.

Univers de la sensation, de l'impression et du rêve, les Poèmes saturniens procèdent par touches successives plutôt qu'ils n'obéissent à une continuité narrative ou à une logique descriptive, à l'exception de quelques pièces telles que "Nocturne parisien", "Marco", "César Borgia" ou "la Mort de Philippe II". Ainsi, dans "Après trois ans" ("Melancholia", III), le paysage d'un jardin se constitue peu à peu mais demeure morcelé, formé d'éléments autonomes que le poème se borne à mettre côte à côte: une "humble tonnelle", un "jet d'eau", un "vieux tremble", des "roses", de "grands lys", des "alouettes", une "Velléda". Aucune vision totalisante n'organise l'espace, de même que le texte, refusant l'anecdote et l'expansion sentimentale, demeure muet sur les motivations de cette promenade et l'émotion qu'elle suscite. La nostalgie, l'oeuvre destructrice du temps sont au coeur du poème mais suggérées seulement, dessinées en filigrane à travers le spectacle de l'immuabilité de la nature et grâce à de brèves notations temporelles - "Après trois ans", "Comme avant" - ou à de simples préfixes itératifs - "J'ai tout revu", "J'ai retrouvé".

L'un des traits dominants du "signe SATURNE" réside sans doute dans cette perception aiguë et inquiète de la fuite du temps. Les Poèmes saturniens se plaisent à évoquer le passé qui ne reviendra plus - des titres tels que "Melancholia" ou "Nevermore" (ce dernier est utilisé deux fois) sont éloquents à cet égard -, ou à traquer la fugacité du présent: "Et fais-moi des serments que tu rompras demain, / Et pleurons jusqu'au jour, ô petite fougueuse!" ("Lassitude", "Melancholia", V). La femme rêvée est moins promise que d'emblée vouée à la mort dont elle procède et dont elle ne parvient pas véritablement à s'extraire: "Son regard est pareil à celui des statues, / Et, pour sa voix, lointaine, et calme, et grave, elle a / L'inflexion des voix chères qui se sont tues" ("Mon rêve familier", "Melancholia", VI).

Les Poèmes saturniens sont peuplés de souvenirs et de spectres. De discrets mouvements s'y esquissent, presque toujours sous l'image du roulis, d'un balancement typique de l'hésitation et de l'indécision saturniennes: "Balancés par un vent automnal et berceur, / Les rosiers du jardin s'inclinent en cadence" ("Épilogue", I). Les teintes sont estompées, ainsi que l'atteste la récurrence d'adjectifs tels que "blême", "blafard" ou "morne". La mort envahit le texte poétique et la détresse - "Mon âme pour d'affreux naufrages appareille" ("l'Angoisse", "Eaux-fortes", VIII) - se dit à travers l'évanescence et la déliquescence des choses: toute présence est saisie dans sa précaire ténuité et porte l'angoisse d'une disparition.

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Commentaires

  • Je reviens souvent avec le magnifique 33 tours de Léo Ferré, où il chante Verlaine & Rimbaud, et l'un ou l'autre poème de ce premier recueil...

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