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12272723689?profile=originalLes « Lettres philosophiques » de Voltaire sont un essai publié sous trois titres différents. Deux versions en 24 lettres sont publiées à Londres, l'une en anglais, Letters concerning the English Nation (1733), l'autre en français, Lettres écrites de Londres sur les Anglais et autres sujets par M.D.V. (1734). Une 25e lettre sur Pascal a été ajoutée aux Lettres philosophiques publiées à Rouen chez Jore en 1734.

 

Exilé en Angleterre à la suite d'une algarade avec le chevalier de Rohan, suivie d'une bastonnade et d'une incarcération à la Bastille, Voltaire, qui s'efforce de "devenir anglais", promet à son ami Thiriot le 26 octobre 1726 de l'entretenir de cette "nation de philosophes". Ce projet se précise en décembre 1727. Dans un "Advertisement", en tête de deux essais en anglais, Voltaire envisage de donner une relation de son voyage d'où il écarte la satire et le pittoresque descriptif. Il se propose d'instruire ses compatriotes en leur faisant connaître les choses utiles et les grands hommes du pays dans lequel il vit. A-t-il déjà jeté sur le papier une partie de l'ébauche que les éditeurs de Kehl publieront? Cette Lettre à M. met l'accent sur les difficultés de l'entreprise, raconte l'arrivée à Londres du narrateur d'abord enthousiasmé, puis décontenancé par le caractère changeant des Anglais. Ce texte est abandonné au bout de quelques pages, et Voltaire se remet au travail dans un tout autre esprit. Il rédige en anglais quelques lettres. Les Letters concerning the English Nation, pour la moitié d'entre elles, ne sont pas des traductions. De retour en France en 1728, il se désintéresse de ces esquisses en anglais et sans doute en français. En 1730, révolté par le sort ignominieux réservé au cadavre de Mlle Lecouvreur, la célèbre actrice, il proteste contre l' excommunication des comédiens, thème repris dans la 23e lettre. Il s'est remis à ses "lettres anglaises" en 1731, y travaille en 1732, complète sa documentation sur Newton, rédige une première version de la lettre "sur M. Locke", ajoute la lettre "sur l'insertion de la petite vérole". En 1733, alors que le livre s'édite à Londres et à Rouen, il envoie au libraire Jore, avec lequel il a conclu un contrat à compte d'auteur, "quelques petites réflexions détachées sur les Pensées de Pascal". En avril 1734, l'ouvrage fait scandale en France. Jore est embastillé, une lettre de cachet est lancée le 3 mai contre Voltaire; le 10 juin, un arrêt du Parlement condamne ce livre "propre à inspirer le libertinage le plus dangereux pour la religion et pour l'ordre de la société civile". Le même jour, un exemplaire est brûlé. Une dizaine d'éditions se succèdent en dix ans. Après 1739, le livre est morcelé entre plusieurs sections des Mélanges, la sentence restant exécutoire; les Lettres seront regroupées en 1818 dans l'édition Beuchot.

 

Sous une forme condensée, les Lettres philosophiques jettent les bases du programme des Lumières. Sept lettres évoquent la situation religieuse outre-Manche. L'enquête sur les quakers est la plus développée: discussions sur leur doctrine, description ironique d'un office, biographie du fondateur de la secte, Georges Fox, historique de l'établissement d'un Eldorado quaker, la Pennsylvanie, qui doit son nom à W. Penn (quatre lettres). La religion anglicane, pourtant dominante, n'a droit qu'à une lettre qui insiste sur la suprématie du pouvoir civil. La suivante, "Sur les presbytériens", loue le pluralisme religieux comme gage de paix civile. Les remarques "Sur les sociniens, ariens ou antitrinitaires" militent pour un déisme indifférent aux dogmes.

 

Quatre lettres traitent de questions politiques. Au terme de longues luttes, la nation a "réglé le pouvoir des rois" qui, "tout-puissants pour faire le bien, ont les mains liées pour faire le mal"; elle a réparti les pouvoirs (lettres VIII et IX). L'essor économique s'appuie sur le grand commerce que la noblesse ne dédaigne pas (X). Ouverte au progrès, l'Angleterre a adopté une politique médicale audacieuse (XI).

Les lettres suivantes montrent ce que peut la pensée dégagée des préjugés et des censures. Consacrées aux grands hommes, elles se donnent pour tâche de vulgariser les conquêtes scientifiques: Bacon, "père de la philosophie expérimentale", le sage Locke qui remplace le "roman de l' âme" qu'a écrit Descartes par son "histoire", Newton surtout qui a découvert le système de l'attraction universelle et a fait avancer la connaissance sur la chronologie de la Terre, sur les propriétés de la lumière.

 

Le quatrième groupe de lettres (XVIII à XXIV) est relatif à la littérature, au théâtre et à la poésie, et porte "Sur la considération qu'on doit aux gens de lettres", "Sur les académies". L'étroitesse du goût ne doit pas masquer l'enjeu: Voltaire réfléchit sur les rapports entre l'État et la culture. Tolérance religieuse, liberté politique, prospérité, appui accordé aux forces vives de la nation, l'exemple anglais met en évidence les carences françaises. Aussi ces lettres sont-elles couronnées par la lettre XXV, "Sur les Pensées de Pascal", qui leur donne leurs assises profondes. Refus de l'angoisse existentielle, pari pour un relatif bonheur terrestre à condition d'aménager la vie sociale, réhabilitation du "divertissement", Voltaire prend le "parti de l'humanité" contre le "misanthrope sublime" et, dans la même foulée, celui des sociétés ouvertes contre les sociétés bloquées.

 

Diffusion européenne pour ce modeste ouvrage lancé conjointement en France et en Angleterre. Ces "lettres philosophiques, politiques, critiques, hérétiques et diaboliques" veulent provoquer un changement de mentalités. Voltaire est ainsi devenu ce "merchant of a nobler kind" évoqué dans l'"Advertisement" de 1727, qui se propose d'éclairer en favorisant échanges et comparaisons. Présente par des parallèles explicites ou implicites, la société française est le point de mire de ces Lettres qui s'appuient sur l'exemple anglais. D'où l'importance des techniques de communication mises en oeuvre: journaliste, le narrateur des Lettres philosophiques enquête, interviewe un bon quaker, Congreve ou la nièce de Newton, Mrs Conduit. Selon un renversement de perspectives, cette Angleterre où "communément, on pense" confère de l'étrangeté à un royaume de France engoncé dans ses archaïsmes politiques et religieux. D'où l'accent polémique de cette brochure animée par l'impatience d'un homme de progrès.

 

Pari sur les valeurs terrestres, les Lettres philosophiques s'efforcent de susciter un processus de laïcisation. Aux angoisses pascaliennes sur la place de l'homme dans l'univers, sur la malédiction du péché originel, Voltaire répond par de tranquilles acceptations: l'homme est "ce qu'il doit être" selon l'ordre du monde, à sa place dans l'échelle des êtres. A l'obsession du salut se substitue une légitime recherche du bonheur; au mépris des activités humaines, une glorification de l'action. Point d'interrogation métaphysique, point d'interférence divine dans la vie terrestre, point de sacré. Ayant fait place nette, Voltaire met l'accent sur le bon fonctionnement de la vie sociale. Les croyances sont reléguées dans la sphère du privé, d'où l'exemple provocant de la Bourse de Londres qui ignore les clivages religieux. Les sectes, nombreuses, se neutralisent mutuellement. L' État doit garder la haute main sur des ecclésiastiques toujours prêts à s'entre-déchirer. L'organisation des institutions garantissant la liberté, une politique scientifique et culturelle hardie: voilà le devenir des civilisations humaines. Alors s'ouvre le champ excitant des conquêtes de la pensée, celui du progrès de l'humanité. Tonique et percutant, n'ignorant rien des misères de l'homme, mais bien décidé à lutter contre elles autant que faire se peut, l'ouvrage a valeur de manifeste optimiste. Profession de foi d'un homme des Lumières, les Lettres philosophiques, qui transforment l'Angleterre des années 1730 en mythe, ouvrent ainsi à la pensée du siècle des horizons nouveaux.

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Commentaires

  •  Bonjour M. Paul,

     Je suis un étudiant américain. De plus, je suis à pointe de commencer mon année finale à l’Université de Caroline du Nord avant, avec un peu de chance, commençant une carrière comme un professeur. Je voulais vous contacter parce que j’ai trouvé ceci blog qui m’a aidé beaucoup dans les étapes primaires de mes investigations. Spécifiquement, je vais faire un projet scolastique sur les relations entre l’écriture de Voltaire et Smollet et les réponses populaires que les deux ont provoqués dans ses pays natals.

    Néanmoins, pour pouvoir faire cela, je pense qu’il essentiel que je développe une compréhension du temps que Voltaire passa en Angleterre. En lisant votre blog, je voyais que vous étiez très savant avec respect à Voltaire et sa vie. Donc, je voulais savoir si vous aviez des recommandations concernant sources primaires que vous avez utilisé que me pouviez souhaiter.  Ses « Lettres philosophiques » seront un des sources plus influentes à ma thèse (une « Senior Thesis, » comme on dirait ici aux États-Unis). Je voudrais identifier des sources que je peux réviser pour voir et apprendre plus de Voltaire et sa connexion à l’Angleterre en faisant de recherche.

    Connaissez-vous quelques sources écrites du 18e siècle ou les réactions contemporaines furent enregistrées ?  Je pense en journaux, magazines, ou d’autres formes de media… En outre, connaissez-vous  l’écriture de Smollett ? Il était un contemporaine de Voltaire qui fit la traduction principale de Candide du français a l’anglais en 1759. Aussi, il écrivit des lettres sur un voyage qu’il prit en France et l’Italie pendant de 1763 jusqu’à 1765. Ce voyage m’intéresse parce que, dans ses lettres, il fait des critiques aux aspects variés du gouvernement et la société française. Spécifiquement, je veux examiner les réactions que les françaises eurent en lisant un copie traduite de sa texte « Voyage à travers de France et l’Italie » (pris de l’anglais « Travels through France and Italy). Si me pouviez guider en ma recherche, je serais très reconnaissant de votre aide.

    Merci de votre temps et de votre attention. Je suis dans l'attente de votre réponse.

     

    Avec respect,

    Mike

  • Excellent résumé de la vie d'un homme qui a pris la défense des libertés et de la laïcité.
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