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Dans « Tel quel » (1941), Paul Valéry a rassemblé des fragments de journal intime, déjà publiés dans plusieurs plaquettes: tome I: "Choses tues" (1930), "Moralités" (1932), "Cahier B 1910" (1924), "Littérature" (1929); tome II: "Analecta" (1926), "Rhumbs" (1926), "Autres Rhumbs" (1927).

Toutes ces réflexions, groupées sans ordre, sur des sujets très divers, sont extraites des cahiers tenus par Valéry de 1890 à 1925: l'auteur les a livrées "tel quel", sans les récrire, ce qui ne manque point d'entraîner parfois quelque obscurité. Et néanmoins ces "incidents de l'esprit", ces "surprises de l'attention", -idées tombées comme par hasard sur le papier au fil de la pensée,-étonnent par leur forme particulièrement achevée: où l'on pensait ne trouver que des ébauches, on découvre des conclusions.

Tout rayonne ici de vérité universelle: l'auteur évite rigoureusement la moindre confession. Aussi est-ce très improprement qu'on peut parler de journal intime. Mais "Tel quel" n'est pas plus un journal métaphysique: livre de raison d'un artiste, uniquement préoccupé, malgré le champ immense de sa curiosité, de vérité morale et de technique esthétique.

Quelques thèmes se dessinent dans ce chaos: c'est d'abord, naturellement, l' intellectualisme de Valéry. L'écrivain insiste ici sur les dépendances, les limites de l' esprit, enraciné dans la matière, "attaché à un corps, à un camp, à un nom, à des nerfs, à des intérêts" ("Moralités"). Peut-être nos pensées n'ont-elles point de valeur universelle: elles gardent celle d'être l'expression de nous-mêmes, un des moyens de l' individu: "Il manque à la critique, qui les détruit facilement, la connaissance des besoins et des penchants de l' individu... On critique un outil sans savoir qu'il sert à un homme, auquel il manque un doigt ou bien qui en a six" ("Rhumbs"). Mais c'est là ce qui rend l'homme profondément invisible à lui-même. Le "Cogito" cartésien, l'identification de l'être et de la pensée, n'est rien de plus pour Valéry qu'un beau rêve irréalisable, "la traduction d'un intraduisible état". "Parfois je pense, parfois je suis", répond Valéry à Descartes, et cette absence de la pensée fait naître l' étonnement du néant, suggère que les puissances de notre esprit pourraient n'être en nous que "comme des biens extérieurs, des armes surajoutées, et des parures qui se détachent..."

Avec ces notes sur le problème de la connaissance, les extraits concernant la littérature et la poésie sont les plus intéressants du recueil. L'homme Valéry peut s'éloigner volontairement de la vie, il sait qu'à la vie la poésie est liée (comme l'esprit): quel autre sens pourrait avoir la poésie que de restituer par le langage la réalité de l'existence? "La poésie est l'essai de représenter, ou de restituer, par les moyens du langage articulé, ces choses ou cette chose que tentent obscurément d'exprimer les cris, les larmes, les caresses, les baisers, les soupirs, etc." Aussi le poème, devant traduire cette réalité totale que le sentiment porte en lui sans pouvoir la dire, est-il "toujours inachevé". Parce qu'elle donne la vie dans le langage, la poésie est indéfinissable: "La puissance des vers tient à une harmonie indéfinissable entre ce qu'ils disent et ce qu'ils sont. Indéfinissable entre dans la définition. Cette harmonie ne doit pas être définissable. Quant elle l'est, c'est l' harmonie imitative". Indéfinissable ne signifie d'ailleurs pas: culte de la singularité. C'est le reproche que Valéry adresse au romantisme; en ce qui le concerne, il maintient l'importance de la maîtrise, car il faut "commander aux moyens de l' art au lieu d'être commandé". "Entre classique et romantique, la différence est bien simple, c'est celle que met un métier entre celui qui l'ignore et celui qui l'a appris. Un romantique qui a appris son art devient un classique" ("Littérature").

Le grand intérêt de ce livre de fragments, comme de "Mélange" et de "Mauvaises pensées", est de nous montrer la pensée de Valéry dans son élaboration et comment, à aucun stade de sa réflexion, l'écrivain ne tolérait en lui le moindre flou, la moindre confusion. C'est là surtout le travail préparatoire aux grandes oeuvres, qui couvre toute la vie secrète de Valéry: ce dernier, qui demeure avant tout un artiste, ne cherche point à édifier un système rigoureux, mais à expérimenter une méthode en accord avec le réel. Aussi ces réflexions sont elles exemptes de toute tricherie. Le seul luxe de cette pensée exacte est de se faire toujours accompagner d'ordre et de musique.

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