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Composé en 1984, l’Introduction à la méthode de Léonard de Vinci, cet essai fameux révéla le talent particulièrement subtil et exceptionnel de Paul Valéry. L'auteur avait alors vingt-trois ans et -ainsi qu'il l'a expliqué dans sa longue "Note et digression", composée en 1919 à l'occasion d'une réédition de son essai -il éprouvait un immense dépit à constater que le défaut évident de toute littérature était "de ne satisfaire jamais l'ensemble de l'esprit".

"Monsieur Teste" n'était pas loin, qui allait consacrer la rupture du jeune écrivain avec la littérature, avant de s'enfoncer dans l'étude des mathématiques et de la physique. Cette insatisfaction fondamentale vis-à-vis de l'oeuvre écrite poussait tout naturellement Valéry à ne mettre rien au-dessus de la "conscience".

 

Dans de semblables dispositions, en un tel moment, la personnalité de Léonard de Vinci ne pouvait que le séduire, l'inquiéter: en effet, "quoi de plus séduisant qu'un dieu qui repousse le mystère, qui ne fonde pas sa puissance sur le trouble de notre sens; qui n'adresse pas ses prestiges au plus obscur, au plus tendre, au plus sinistre de nous-mêmes; qui nous force de convenir et non de ployer; et de qui le miracle est de s'éclaircir: la profondeur, une perspective bien déduite?" Esprit universel, doué d'une curiosité inlassable, Léonard offrait à Valéry cet étonnant spectacle d'un homme en qui le génie artistique et la rigueur scientifique non seulement coexistent, collaborent, mais se renforcent et s'harmonisent, pour tirer de leur intime mélange une connaissance agrandie et incomparable de l'univers. La rencontre d'un tel homme ne pouvait être pour le futur Monsieur Teste que des plus excitantes.

 

Déjà attiré par le difficile problème des rapports existant entre la technique et l' inspiration, Valéry, soucieux d'éclaircir le mystère de la création poétique, en était venu à penser, à l'instar de Mallarmé et d'Edgar Poe, qu'il existe une relation intime entre la poésie et la science. Or, dans le génie de Léonard, il découvre précisément l'exemple suprême de cette fusion de deux activités intellectelles que l'on considère habituellement comme indépendantes, sinon incompatibles. Léonard de Vinci devint très vite dans son esprit un symbole: aussi convient-il de voir dans cet essai l'exposé des thèmes les plus familiers de Valéry, ceux qui forment la trame de toute son oeuvre, en vers comme en prose. L'on y trouve notamment cette idée, que l'homme de génie, durant certains états de clairvoyance absolue et universelle, est capable de discerner les relations cachées et nécessaires "entre des choses dont nous échappe la loi de continuité". Dès lors, le passage à l' "acte créateur", ou à l' "invention", n'est plus que le fait d'accomplir un certain nombre d'actes soigneusement prémédités et déjà définis. De cette observation, Valéry déduit la nécessaire identité entre l' art et les sciences, idée qu'il développera plus tard dans "Eupalinos". Notons, à l'instar de Valéry, que cette identité n'existe que dans une région spirituelle supérieure vers laquelle tendent sans cesse nos facultés, sans jamais pouvoir espérer l'atteindre autrement que par une sorte de miracle momentané. Et Valéry de préconiser la culture de cet intellect dont il s'est fait une idole, pour n'en avoir point trouvé d'autre: lieu de convergence des puissances passives et créatrices de l'être, à partir duquel "les entreprises de la connaissance et les opérations de l' art sont également possibles; les échanges heureux entre l'analyse et les actes, singulièrement probables".

L'essai contient, en outre, exposées avec toute la fougue d'un esprit jeune, des affirmations hardies, et souvent paradoxales, sur l'impossibilité pour l' artiste de rendre par les moyens de l' art la présence sensible du monde, sans que l'image où il prétend l'enfermer, aussitôt ne se fane: le phénomène poétique serait donc à jamais incommunicable? Pour l'auteur, -et manifestement Valéry se plaît ici à provoquer l'indignation du lecteur, -l'oeuvre d' art serait avant tout "une machine destinée à exiter et combiner les formations des esprits" auxquels elle s'adresse: autrement dit, la création artistique serait un simple problème de rendement, nécessitant de recourir à une économie, savamment calculée, de moyens propres à obtenir l'effet désiré sur un public donné. On reconnaît là, mais sous une forme volontairement excessive, l'affirmation célèbre de l'auteur suivant laquelle "l' enthousiasme n'est pas un état d' âme d' écrivain".

 

Outre ces importants développements sur les ressorts du cerveau humain, l' "Introduction" abonde en observations et en hypothèses originales sur la nature profonde du génie de Léonard de Vinci, ainsi que sur la forme de son esprit et les modalités de son caractère (à cet égard, les réflexions contenues dans la "Note et digression" de 1919 l'emportent sur celles que livrait l'essai de 1895). La qualité principale de l'oeuvre tient dans la ferveur et la sincérité d'une pensée qui se veut passionnée, mais lucide, et qui n'ignore ni ses manques, ni ses limites. On retiendra comme un des aspects les plus significatifs de cet esprit intrépide et qui se voulut toujours en éveil, l'apostrophe toute cartésienne qu'il adresse à Pascal: "homme entièrement insensible aux arts... qui pensait que la peinture est vanité, que la vraie éloquence se moque de l'éloquence; qui nous embarque dans un pari où il engloutit toute finesse et toute géométrie et qui, ayant changé sa neuve lampe contre une vieille, se perd à coudre des papiers dans ses poches quand c'était l'heure de donner à la France la gloire et le calcul de l' infini".

 

Valéry, tout comme Léonard de Vinci, nous a appris à ne point nous satisfaire de révélations et l'on se souviendra que celui qui s'en prenait aux mânes de Pascal, en termes si violents, ne pouvait admettre qu'un abîme ouvert sous nos pieds ne nous fit songer à un pont. Plus attiré par le mystère de l'acte créateur, qu'il brûle de dissiper, que par l'éclat de l'oeuvre achevée, Valéry ressent intensément la tragédie de l' intelligence. Certes, il lui arrive de se livrer à de brillantes et superficielles variations sur ce thème; mais le ton reste toujours pathétique et persuasif. Le style, admirable dans son classicisme, dépouillé de tout ornement inutile, donne à cet essai une grandeur et une force qui en font un des livres les plus remarquables de l'auteur et des plus appréciés.

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