Nous voici donc devant un nouveau Docteur Jekyll et Mr. Hyde, inspiré de la célèbre nouvelle de Stevenson. Une heure 10 de palpitations magnifiquement interprétées par Emmanuel Dekoninck, multiple Manu, qui, de son corps agile et de sa voix nous guide dans la descente vertigineuse des complexités du Moi. Il nous souhaite au passage de ressortir de ce spectacle un peu différent. Il est vrai qu’ après avoir bu la potion magique de son art dramatique éblouissant et goûté au poison de l’expérience scientifique qui se déroule devant nos yeux ébahis par la mise en scène et le décor , on ne peut plus qu’accepter avec humilité les zones d’ombre que tout un chacun porte en soi.
Christine Montalbetti met en scène la brume de l’hiver londonien, les ombres lugubres d’une rue déserte la nuit, la lune traîtresse et cette chose visqueuse qu’est le secret. C’est cette dernière confession bouleversante du Dr. Jekyll, envahi inexorablement par les difformités physiques et morales de Mr. Hyde, qui va empoigner le spectateur jusqu’à ce que conscience s’en suive. Le visage lisse du jeune étudiant sans problème de la cuvée 2011-2012 se froisse et apparaissent les failles qui le feront aimer désespérément. Quel que soit le siècle, il se pose la question maléfique du désir et de l’ennui. Il révèle peu à peu sa perception des pulsions perfides, des zones d’ombre, des souffrances. Alternent l’angoisse de Jekyll, mais aussi l’humour de Hyde, sa séduction subversive et souveraine, sa soumission entière au désir.
Contraste lumineux : le Dr. Jekyll, épris de progrès scientifique, offre tout simplement sa personne à la science et explique l’expérience devant un tableau d’auditoire imaginaire. Noble passion et générosité de l’homme chercheur et enseignant. Jekyll analyse minutieusement l’être humain dans sa complexité. Pour lui, jusque dans la bonté il y a des pulsions bâillonnées, des chemins tortueux. « Je suis l’incarnation de l’hétérogène et je fais mon autopsie. Vous repartirez différents suite à l’agitation de vos molécules.» promet-il.
Paradoxalement, le Dr. Jekyll va donc s’appliquer à métamorphoser… le spectateur. L’effroyable Mr. Hyde est un monstre qui grâce aux effets de la potion est devenu un être purifié dans l’alambic de la science, sans mélanges. Il ne connait pas la versatilité, ignore l’autre, est soumis à la machinerie infernale de sa pulsion première et personnifie l’abomination de la pureté.
D’aucuns verront aussi dans ce conte cruel l’image des combats fratricides qui peuplent toutes nos mythologies depuis l'aube de l'humanité. Une œuvre forte intensément interprétée par Manu. Suavité diabolique de la question de Hyde : « Si je ne te servais pas de repoussoir, comment pourrais-tu te glorifier dans ta vie quotidienne ? Est-ce que je ne t’ai pas sauvé de l’ennui en te laissant le beau rôle ?»
Seule la mort est sans faille. Deux mortels, Ange et Démon se disent donc adieu, ainsi qu’à la vie dans un luxe langagier qui ne déplairait pas à Baudelaire. Jekyll ne peut plus faire qu’une chose : parler, parce que la parole est tout ce qui lui reste. Une parole qui devient spectacle saisissant.
Du 11.01 au 18.02.2012
Di : 22.01 & 05.02
Commentaires
le commentaire détaillé de Roger Simons:
http://www.cine-files.com/cinemaniacs/theatre/theatre2.php?id=2592