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Le bal des morts

Le bal des morts

Antonia Iliescu

           Sur leur planète, qui se trouve dans la constellation Le Chevalet du Peintre  (une vraie pépinière d’étoiles), les êtres n’ont pas de corps, ni au moins une forme quelconque. Ils se distinguent uniquement par la couleur.
           Une nuit d’été mon père m’a invitée au bal des morts. Sur une plage énorme au sable blanc, on avait improvisé un ring. Un peu plus loin, sur la ligne d'un horizon invisible, un immense tableau était installé, tableau vivant, sans cadre, sans limites. Quelqu’un était là, silencieux et soucieux de ses invités – les gens chuchotaient que c’était Asclépios. Il nous appelait à danser, en faisant des signes par la main : « Venez, approchez-vous! N’ayez pas peur! Tout est un jeu.». La toile était faite de deux plaques fines de verre, entre lesquelles serpentait un fluide bleu clair, qui pouvait être le ciel ou la mer ou les deux mélangés… Anciens terriens habillés de vêtements de maison en couleur sépia (seul mon père portait une chemise bleue) attendaient leur tour soit en dansant, soit en sommeillant dans les fauteuils mous de nuages. Des gens grands et des gens petits, des riches et des pauvres, femmes ou hommes, partaient deux par deux, la main dans la main vers le tableau.
           Deux jeunes filles arrivèrent près de lui. A un moment donné, l’une d’entre elles fut absorbée à l’intérieur de l’immense écran, et a commencé la danse de la mort : elle s’est pliée en deux et s’est liquéfiée ; elle devint ainsi une gouttelette noire, visqueuse, qui peu après  monta par osmose entre les deux lamelles transparentes. L’instant suivant j’ai assisté à un spectacle sublime. La gouttelette noire a explosé comme une supernova, changeant continuellement de forme et de couleur. Le film de soie pastellée glissait entre les feuillettes de verre. Des milliers de rayons et de particules portant la couleur dominante individuelle, s’y répandaient comme dans un feu d’artifices, pour disparaître quelques secondes après, fondus dans une délicate toile d’araignée.
           Mon père était paisible. Il s’est détaché de la foule et a commencé à danser lentement, en glissant vers le mystérieux athanor. Après cette distillation, les êtres transformés en vibrations tissaient les fils de la toile d’araignée dans une infinité de nuances. Certaines couleurs j’ai réussi à les identifier ici, sur terre : ma grand-mère rose, mon père bleu, l’homme couleur pigeon voyageur, la femme jaunâtre, le petit homme gris-vert, la femme d’or, l’homme mauve de déprime… Mais d’autres gens sont enveloppés dans une substance mystérieuse, quelque chose d’indéfini, comprenant des mélanges étranges de couleurs de feu ou d’autres, troubles, de vent, de couchers et levers du soleil et de lune, de froid et fournaise, poix et artifices.
            Parmi eux se trouve peut-être l’homme arc-en-ciel, dont on dit qu’il serait le seul à avoir libéré sa verticale éternelle de l’horizontalité. Il est l’homme le plus difficile à trouver ici mais il vaut la peine de le chercher.
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(fragment du livre « Curcubeul cu oameni »* de Antonia Iliescu – Ed. Libra Vox - Bucuresti 2002)

 * L’arc-en-ciel aux humains

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Commentaires

  • Eh bien, je crois que c'est Grand Peintre de l'Univers qui connait la réponse.
    Un très beau weekend de Pâques plein de couleurs, chère Claudine!

  • Toujours aussi étonnante chère Antonia.  Je me demande quelle est ma couleur.

    Bonne soirée et bisous.

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