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La jeune mariée de coton bleu (1)

 

Premier tableau: l'étudiante

Elle s'appelait Tiana, elle avait à peine vingt-quatre ans, en paraissait un peu plus sur ses photos, et un peu moins en vrai.

La première fois que je l'ai vue, elle était étudiante.

Venue du fin fond de l'Arizona, elle passait une année en Allemagne, pour apprendre la langue. Un échange. Elle s'adaptait avec plaisir aux traditions de la vieille Europe, pendant que le fils de sa famille d'accueil, lui, perfectionnait son anglais en compagnie de ses trois frères.

Je me dépêtrais avec difficultés face au médecin de garde, un samedi midi, dans les ruelles de la ville de Daun. Ma petite Marie accusait un bon 39 de fièvre, et ma connaissance de l'allemand était poussiéreuse.

Après avoir concentré toutes mes forces dans l'interprétation du diagnostic et du contenu de l'ordonnance, j'achevais de me perdre dans les explications du médecin pour que je parvienne à la pharmacie avant la fermeture.

Mon interprète était alors apparue. Jeans et sweat-shirt informes, autour d'une grande adolescente au sourire dévastateur. Elle parlait anglais avec un fort accent, mais j'aurais détrôné toutes les voix féminines so British de la BBC au profit de celle-là, du moment qu'elle procède au doublage sonore du Doktor Hartmann. Cette dernière dessinait le plan d'accès à l'officine, ponctuant le tout d'explications dont le peu que je comprenais laissait clairement entendre que rien de ce qu'elle avait dessiné n'était vraiment à l'échelle.

Tiana s'était présentée. Elle m'avait expliqué qu'elle rangeait et nettoyait les salles de consultation le samedi après-midi, pour se faire un peu d'argent de poche, et que si je le souhaitais elle pouvait m'accompagner jusqu'à la pharmacie. Il me suffirait de la ramener après. Marie s'était endormie sur mon épaule, soulagée qu'on la laisse enfin tranquille après l'auscultation. Ses dix-sept mois avaient diligemment besoin d'aide pour faire baisser sa température. J'acceptai avec gratitude.

J'installai Marie dans son siège et démarrai. Tiana avait les yeux marrons, presque noirs, terriblement rieurs. Sur le chemin elle m'expliqua quelque peu comment sa vie d'étudiante américaine s'organisait ici, à quelque cinquante kilomètres de Koblenz. De temps à autres je voyais jaillir sa main vers le pare-brise, et ses doigts pointer la direction à suivre. Elle racontait. Une année d'histoire de l'Art, du baby-sitting et d'autres petits boulots pour les extras, une famille d'accueil assez stricte, un peu d'écriture, beaucoup de peinture. Elle posait aussi parfois pour des peintres, en ville, mais ça, personne ne devait le savoir. Sa peau était mate, peut-être trahissait-elle des origines mexicaines ou amérindiennes.

Elle était arrivée à peine trois mois plus tôt et déjà son allemand était d'une belle fluidité, comme j'eus tôt fait de le constater lorsque nous arrivâmes à la pharmacie. Je remarquai surtout le regard des gens qui l'apercevaient. Tiana ne laissait personne indifférent. Son sourire de jeune fille venait de très loin, et se projetait vers le regard de l'autre avec une innocence presque enfantine. Pourtant Tiana n'était plus une enfant. Avant de rentrer dans la voiture elle saisit ses cheveux des deux mains pour les nouer derrière la tête, en un mouvement d'une rare élégance. À son cou je devinai une petite topaze ronde accrochée à une fine queue-de-rat en or blanc: j'imaginai volontiers que c'était un cadeau de son petit ami.

En moins de vingt minutes nous étions de retour. Je la remerciai de sa gentillesse, lui souhaitai un heureux séjour en Allemagne. Marie dormait toujours. Je lui donnerais ses médicaments dès mon retour à l'hôtel. Lorsqu'elle quitta ma voiture je lui saisis la main, et lui dis dans un anglais devenu hésitant: « Merci de tout cœur. Vous m'avez fait gagner un temps précieux. Et puis... j'aimerais que plus tard ma fille ait votre sourire ». Celui qu'elle me décocha en retour était un diamant de joie de vivre. « Alors prenez bien soin d'elle. Bon retour en Belgique... » m'a-t-elle répondu avant de disparaître vers le centre médical.

Un visage de lumière comme jamais je n'en avais vu, et comme très probablement jamais je n'en reverrais. Je priais souvent ma mémoire pour que ce souvenir ne s'altère pas.

C'est l'histoire de notre deuxième rencontre que personne ne voudra croire.

Elle eut lieu quelques années plus tard.

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Commentaires

  • M'en vais aussi ...lire la suite ...

  • Intéressant! Moi aussi, je vais lire ce qui suit...

  • je vais lire la suite de ce pas.......captivant

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