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administrateur théâtres
De la  lumineuse intériorité et de l’amour de la liberté.... 
En 1670, pour la première représentation devant le roi du "Bourgeois Gentilhomme",Lully composait avec Molière une comédie-ballet incluant une cérémonie turque avec les Récits  du Muphti, son Dialogue du Muphti et des Turcs, son Chœur des Turcs, des airs  pour donner le turban, pour les coups de sabre, et celui pour les coups de bâton... Cette démarche permettait de donner cours aux  fantasmes et craintes mêlées d’admiration pour un Orient imaginaire  mais surtout de critiquer indirectement la cour de Versailles.  Dans les "Fourberies de Scapin" (1671), Molière fait inventer par le rusé valet, afin de soutirer 1 500 écus à un  Géronte borné et avare - une histoire de rançon et d'enlèvement sur une  galère turque ... l'une des grandes frayeurs du voyageur européen en Méditerranée! "Mais que diable allait-il faire à cette galère ! Ah ! maudite galère ! Traître de Turc !"  Les Turqueries ? Au XVIIIe siècle  avec la publication des «Lettres persannes» par Montesquieu en 1721, cette mode fait toujours fureur en Europe. Jouée pour la première fois en 1782 au Burgtheater de Vienne, voici une "Turquerie" magnifique mise en musique par un jeune Mozart de 26 ans sur un  livret de J. Gottlieb Stéphanie d’après la pièce de Christoph Friederich Bretzner.  
 
C’est le  premier opéra allemand. Six personnages. Konstanze, Blondchen, Belmonte et Pedrillo font naufrage sur les côtes de Turquie. Face à eux, Osmin, terrible et cruel qui voulait :" ...faire griller les chiens qui nous ont indignement trompés. ...d'abord décapités, puis pendus, puis empalés, sur un pieu brûlant, puis brûlés, ensuite attachés et noyés; enfin écorchés." (Rires intérieurs !) Mais il y a aussi Bassa Selim, magnanime, refusant la vengeance et donnant ainsi une grande leçon de tolérance tant revendiquée par l'Europe du XVIIIème, et dont Mozart prend un turc comme symbole!
 

 Basé sur un fait divers réel, l’affaire de «L’enlèvement du sérail » aurait été un complot artistique et musical commandé au jeune Mozart par Joseph II. La culture au service de la politique … rien de nouveau! Le personnage turc devait avoir une image de souverain magnanime… L’empereur très  mélomane souhaitait que l’œuvre parvienne aux oreilles du grand Calife et ainsi endormir sa méfiance par la flatterie.   De son côté, en s’alliant avec la Russie, Joseph II  rêvait  de démembrer l’Empire Ottoman… De plus, cette œuvre devait encourager l’identité nationale par la création d’un opéra allemand à côté de l’omniprésence italienne. « Die Entführung aus dem Serail » est en effet  le premier opéra en langue allemande, dans l’esprit du singspiel, une forme nouvellement créée alternant les  parties chantées et parlées. Le rôle du Pacha Selim est d’ailleurs exclusivement parlé. Mais Mozart, uni à  Joseph II par l’idéal éclairé, voyait en ce personnage le prototype de l’homme des lumières. Lorsque Selim (Markus Merz) personnage de grande densité humaine voit son autorité s’écrouler devant la force de ses sentiments, il devient capable de dominer sa colère et  capable d’offrir le pardon, libérant sa belle captive et renvoyant chez eux le couple d’amoureux. Il donne une leçon de morale très forte : « Ainsi pourras-tu dire que réparer par des bienfaits une injustice subie est une joie bien plus grande que de rendre le mal pour le mal ».  Ainsi, quand on aime, le bonheur de l’autre n’est-il pas le plus important ?

A notre époque,  cette œuvre présentée  à l’Opéra de Liège en 2013 est encore toujours aussi fraîche même si les turqueries n’ont plus le même attrait. Ici c’est l’intemporalité du propos qui prime.  Les  magnifiques héros mozartiens Konstanze et Selim  donnent tous deux  à réfléchir sur  la figure  de l’homme idéal, sa morale et  sur sa place dans  le monde. Mais le ton est léger: l’amusement et le comique sont omniprésents dans le personnage d’Osmin. Les péripéties sont nombreuses et font alterner scènes comiques,  déclarations de tendresse, passages où la jalousie jette son ombre orageuse et coup de théâtre.  On se laisse gagner par la connivence  entre  maître et valet, entre la  dame et sa suivante, l’amour bon teint entre Pedrillo et  Blondchen. On voyage avec délices dans  les détours  imaginaires  du sérail et ceux de la  psychologie raffinée des personnages. L’étude psychologique des deux femmes  est particulièrement intéressante et fine.  Séparée de son fiancé par la mer, seule et désespérée, Kontanze chante sa douleur mélancolique. Oppressée par les insistances du Pacha elle se pose en vierge martyre prête à défier la mort si elle est forcée de se plier à son bon plaisir. Amoureuse, elle l’est,  de son fiancé mais cela n’exclut pas  une admiration croissante pour  la beauté de l’esprit et l’amour passionné et désintéressé  de son geôlier… Sous les yeux ahuris du gardien Osmin dont le monde est en train de s’écrouler, on découvre aussi une approche féministe naissante où s’oppose  la femme sous ses voiles devant obéissance absolue à son seigneur et maître et la femme libérée anglaise représentée par Blondchen qui ne ménage ni ses paroles ni son jeu théâtral. Maria Grazia Schiavo dans le rôle de Konstanze et Elizabeth Bailey (Blondchen), regorgent toutes deux  de talent pour escalader les aigus escarpés, plonger dans les sentiments profonds, faire chavirer le spectateur dans l’émotion et assurer une continuité dramatique à peine interrompue par les applaudissements des spectateurs.  

La direction musicale est assurée par Christophe Rousset, fondateur de l’ensemble Les talens lyriques jouant sur instruments d’époque et claveciniste de renommée internationale. Chef d’orchestre très  inspiré il nous  a offert une présentation aérienne et authentique de l’œuvre avec des pupitres bien campés, des allusions orientales bien marquées, non dénuées d’humour. Mais à tout moment les voix chantées étaient soulignées merveilleusement par un orchestre très complice, faisant jaillir le trouble des  sentiments des personnages et la sagesse lumineuse envisagée par Mozart.

 Alfredo Arias signe une mise en scène intense et poétique visant l’essentiel. Celle de l’intériorité des personnages, un palais renversé où flottent les sentiments. Mais aussi des bassins où la main de Konstanze joue avec l’eau. Le metteur en scène fait jouer devant et derrière un rideau de tempête marine et sentimentale, fait passer un navire mythique lumineux porteur de l’espoir et de son évanouissement. Il travaille l’endroit, l’envers et le renversement du décor. Une porte à gauche et une à droite permettent les entrées sur scène mais le reste c’est le passage récurrent entre le réel et l’imaginaire.   Il est en cela fort aidé par les décors de Roberto Platé qui donnent l’impression par le plongeon du décor inversé que c’est l’œil de Dieu qui considère les ébats des hommes sur terre. Et le spectateur est invité à la même lorgnette divine. De face on contemple le ciel et sa lumière capturés dans un  immense tableau de maître. Des costumes fluides qui épousent les moindres émotions et un magnifique chœur juvénile qui bouge  avec lenteur dans une très belle chorégraphie pacifique  sous la direction de Marcel Seminara. Ils sont tous  vêtus de noirs habits de cérémonie et  représentent la fidélité des  janissaires à leur souverain calife. Pour en revenir aux voix masculines, le rude Osmin (Franz Hawlata) et le romantique Belmonte (Wesley Rogers, loué dans la presse pour l’excellence ses personnages mozartiens)  déclenchent  des applaudissements frénétiques à la tombée du rideau. On retrouvera Franz Hawlata en janvier sur la même scène dans « Fidelio ». Avant de rejoindre la France, ce spectacle féerique passe le dimanche 10 novembre (16h) par le Palais des Beaux-Arts de Charleroi. Il a été enregisté par Culturebox le 31 octobre 2013.

 

Voici le lien pour revoir l'intégralité du spectacle: http://culturebox.francetvinfo.fr/lenlevement-au-serail-de-mozart-a-lopera-royal-de-wallonie-143447 

 Metteur en scène : Alfredo Arias, Orchestre et Choeurs de l’Opéra Royal de Wallonie        Konstanze : Maria Grazia Schiavo | Belmonte : Wesley Rogers | Osmin : Franz Hawlata   | Blondchen : Elizabeth Bailey |  Pedrillo : Jeff Martin | Bassa Selim : Markus Merz     Production: Oxymore / Jim & Jules / Opéra Royal de Wallonie Coproduction : Opéra royal de Wallonie / Opéra de Montpellier / Angers Nantes Lumières: Jacques Rouveyrollis Costumes: Adeline André  Direction musicale: Christophe Rousset Chef des choeurs: Marcel Seminara

 http://www.operaliege.be/fr

  http://www.pba.be/

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Commentaires

  • administrateur théâtres

    Et celui de Serge Martin (Le Soir) : Voilà un bien beau spectacle, tout en délicatesse, en humour et en sous-entendus. Alfredo Arias a plus d’un tour dans son sac. Le metteur en scène argentin a signé quelques productions saignantes, à commencer par ses très punks Indes galantes de Rameau à Aix. Pour cet Enlèvement au sérail mozartien, il se souvient des trésors de finesse qu’il avait déployés dans ses magiques Peines de cœur d’une chatte anglaise, regarde délibérément vers la Méditerranée et concocte, dans des décors tout en transparences et en jeux d’ombres de Roberto Platé, une action fluide et légère qui distrait de la farce appuyée de la turquerie traditionnelle.

    Les personnages y gagnent une réelle profondeur. Blondchen (accorte Elisabeth Bailey) a l’abattage d’une suffragette combative.... lire la suite:

    http://mad.lesoir.be/musiques/classique/79320-mozart-die-entf-hrung...

  • administrateur théâtres

    un autre point de vue!  (Crescendo magazine) :

     

  • administrateur théâtres

    Le Sérail enlevé, que reste-t-il ?

    Le 31 octobre 2013par Bruno Peeters
    Bassa Selim et Konstanze

    Bassa Selim et Konstanze

    Die Entführung aus dem Serail à l’ORW Composé immédiatement après Idoménée, L’Enlèvement au Sérail (1782) est l’opéra le plus heureux de Mozart, un de ses plus grands succès aussi. Dans un équilibre unique, il conjugue la verve enjouée du Singspiel avec un message inattendu, incorporé fort heureusement dans ce genre nouveau : la tolérance, issue de la philosophie des Lumières. Voilà le génie mozartien, équation miraculeuse, réitérée neuf ans plus tard avec La Flûte enchantée. La production liégeoise n’incarne ni l’un ni l’autre de ces aspects, du moins visuellement. D’emblée, Alfredo Arias, metteur en scène argentin pourtant chevronné, gomme tout élément exotique : pas de Turquie, pas de turbans, pas de sérail donc : rien. Une chambre renversée, dont le plafond, orné de nuages à la Magritte, forme le décor du fond, les fenêtres (dont trois avec plans d’eau) et portes dès lors sens dessus dessous. C’eût pu être beau, ce n’est qu’inutile. Ce décor est occulté par un rideau de tulle, levé et descendu ad nauseam. On aurait pu croire que cette sobriété, cette intemporalité, allait mener vers une réflexion philosophique pertinente, voire politique, que le livret suggère nettement. Non, le spectateur restera sur sa faim. Aucune conception particulière, rien. Du coup, les chanteurs sont laissés à eux-mêmes, ce qui occasionnera des scènes à la limite du ridicule, comme le grand quatuor de l’acte II où les chanteurs tournent de manière idiote autour de la scène. Plusieurs duos, et Dieu sait comme ils sont beaux, tombent ainsi à plat, chantés bêtement devant le rideau, acteurs raides levant et fermant les bras. En ces temps d’inventivité totale, qui, sans aller nécessairement vers le Regietheater cher au Vlaamse Opera, rénove l’opéra de fond en comble et assure son succès, comment est-il possible de découvrir une pareille pauvreté dramaturgique, qui confine à l’indigence ? C’est fort étonnant. Disparue, la gaîté du Singspiel. Où était l’esprit, cette qualité suprême du XVIIIème siècle ? Et cette rêverie amusée devant un Orient un peu fabulé ? Heureusement, le plaisir musical était là, et si le spectateur se sentait désarçonné, l’auditeur se régalait. Tous les chanteurs apparaissaient pour la première fois sur le plateau liégeois. Si le Belmonte de Wesley Rogers était joli, et le Pedrillo de Jeff Martin correct sans plus, la Konstanze de Maria Grazia Schiavo a impressionné par une virtuosité sans faille, tant dans la douleur de Traurigkeit que dans un Martern aller Arten impeccable, quoique sans beaucoup d’émotion. Incidemment, quelle idée bizarre d’interrompre la représentation pour l’entracte après cet air célèbre, au beau milieu du deuxième acte. La palme vocale allait sans conteste à la Blondchen d’Elizabeth Bailey, archi piquante doublée d’une actrice hors pair, et surtout au vétéran Franz Hawlata, grand Alberich devant l’Eternel, Osmin à la voix de bronze et aux graves bien caverneux. Il fut le seul à faire un peu rire. Et le Bassa Selim ? Ce rôle parlé est essentiel, puisqu’il diffuse le message de tolérance final. Markus Merz l’a bien joué, mais le metteur en scène lui a demandé de gueuler comme un capo nazi juste avant le pardon : faute de goût impardonnable, choquante. Maître de musique, Christophe Rousset a pu subjuger les talents lyriques de l’orchestre de l’Opéra Royal de Wallonie, et mettant ses vents bien en valeur, a imposé un rythme sinon allègre, du moins attentif et efficace. Moralité : le volet musical sauve le spectacle. Bruno Peeters Opéra Royal de Wallonie, le 27 octobre 2013

  • J'aime beaucoup la musique de Mozart,car dans l'enlèvement du sérail elle est forte et très prenante .Merci pour le partage .Andrée

  • administrateur théâtres

    Rencontre: Christophe Rousset

    October 21, 2013 at 5:06pm

    « ÊTRE CHEF, C’EST EXPRIMER UNE DIMENSION SOCIALE DANS SON TRAVAIL »

    Une toute nouvelle co-production pour ce deuxième spectacle! A cette occasion, le spectateur aura le plaisir de découvrir des voix qu’il n’a jamais eu l’occasion d’apprécier sur la scène du Théâtre Royal. Si la mise en scène est confiée au comédien et dramaturge argentin Alfredo Arias, la direction musicale est entre les mains de Christophe Rousset.

    Christophe Rousset, présentez-vous en cinq dates.

    Quel exercice difficile que de retenir cinq événements et de leur donner une égale importance! La première de ces dates est 1961, l’année de ma naissance, à Avignon, dans le sud de la France, ce qui a laissé une empreinte très latine dans ma façon d’aborder la musique. Une deuxième serait 1974, lorsque j’ai commencé le clavecin, à Aix-en-Provence, ville qui héberge un magnifique opéra et qui accueille de nombreux festivals. C’est là que j’ai assisté à mes premiers spectacles lyriques et où j’ai pénétré réellement dans ce monde particulier. En 1983, à 22 ans, je remporte le premier prix du concours de clavecin au festival de musique ancienne de Bruges; c’est la troisième date que je retiens. Ensuite, en 1991, j’ai créé les Talents lyriques, ma formation. C’était, pour moi, très important de pouvoir créer mon propre ensemble afin d’appréhender toute la richesse de la musique baroque. Enfin, 2013, ma première direction de l’Orchestre de l’Opéra Royal de Wallonie…

    Pourquoi avoir voulu devenir chef? Instrumentiste ne vous suffisait plus?

    Si, bien sûr; j’étais très content de jouer du clavecin et de ne faire que cela. Je n’avais d’ailleurs aucune ambition de devenir chef. Le déclic a été mon passage aux Arts florissants (ndlr: un ensemble de musique baroque créé en 1979 et dirigé par William Christie) où j’ai été assistant de 1984 à 1991. En cette qualité, j’ai été amené à diriger des répétitions ou des chœurs et, peu à peu, on m’a confié la direction de concerts de chambre. En 1991, j’ai dirigé un opéra. Et depuis, j’exerce ce métier avec beaucoup de passion.

    Pour être considéré comme un bon chef, faut-il savoir jouer d’un instrument ?

    Non! Et de nombreux exemples prouvent le contraire. Il y a de grands chefs qui ne sont pas de grands instrumentistes. Pour moi, ce n’est pas nécessaire mais, malgré tout, je crois que cela reste complémentaire. C’est, en ce qui me concerne, une chance de pouvoir mener ces deux carrières de front.

    « Il y a quelque chose de solaire et de joyeux.Je trouve cet opéra réellement exaltant »

    Quelles sont les particularités de L’Enlèvement au Sérail?

    Je pense que, dans le répertoire de Mozart, cette oeuvre se démarque pour les raisons suivantes: c’est la première fois qu’il écrit en allemand, c’est son premier singspiel, c’est une oeuvre de jeunesse et pleine d’espoirs. Mozart n’est pas encore déçu par la vie comme il le sera dans La Clémence de Titus, par exemple. Dans l’enlèvement, il y a quelque chose de solaire et de joyeux. Je trouve cet opéra réellement exaltant.

    Par ailleurs, cet opéra est très difficile à « caster » et si on n’a pas les chanteurs adéquats, il vaut mieux passer à autre chose. Je crois savoir que la distribution sera pour la première fois sur la scène de l’Opéra de Liège. C’est au moins une bonne raison de venir voir ce spectacle!

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