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Histoire comique des états et empires du soleil

12272817087?profile=originalIl s'agit d'un roman de Savinien de Cyrano de Bergerac (1619-1655), publié dans les Nouvelles Oeuvres de l'auteur à Paris chez Sercy en 1662.

 

Second volet de l'étrange roman philosophique de Cyrano de Bergerac (Histoire comique contenant les États et Empires de la Lune), les États et Empires du Soleil ne sont connus que par l'édition posthume des Nouvelles Oeuvres parues en 1662; contrairement à la première partie, nous ne disposons plus du manuscrit, et il ne reste que le texte en l'état connu par les contemporains.

 

Revenu en France après son voyage sur la Lune, Dyrcona [anagramme de Cyrano], le narrateur, est accueilli au château de M. de Colignac. Tout commence autour du débat provoqué par les États et Empires de la Lune: Dyrcona est pourchassé pour sorcellerie. Arrêté par une foule excitée par le curé, puis mis en prison, il s'évade, ce qui donne lieu à une poursuite dans les rues de Toulouse, puis se déguise en mendiant. Ayant été repris, il est sauvé de justesse par Colignac, qui améliore ses conditions de détention. Dyrcona en profite pour construire une nouvelle machine, qui l'enlève de nouveau vers les cieux. Le voyage, qui lui permet de confirmer que la Terre tourne bien autour du Soleil, dure quatre mois: il se pose alors sur une «tache» du Soleil (considérée comme un satellite de cet astre). Dyrcona y rencontre un petit homme qui lui expose un système du monde inspiré de Gassendi. Il s'envole de nouveau, et décrit les effets de l'approche du Soleil, notamment la transparence progressive de son corps et de sa machine. Au bout de vingt-deux mois, il atteint enfin le Soleil. Il y découvre un arbre en or massif, d'où se détache un fruit parlant, à forme semi-humaine, qui se révèle être le roi de cet arbre, et qui est accompagné d'un rossignol. Une métamorphose étrange des petits êtres constituant l'arbre aboutit à la formation d'un beau jeune homme, dont le petit roi devient l'âme. Ayant reçu une explication des principes de cette métamorphose, Dyrcona repart, en compagnie du rossignol, à la découverte de ce nouveau monde. Après trois semaines, il parvient au royaume des Oiseaux, où son étrangeté le fait mettre aussitôt en prison. Suit un procès, où il est défendu par une pie: on lui reproche le seul fait d'être homme, être abominable et ennemi naturel des oiseaux. La pie expose à Dyrcona le fonctionnement de la république des Oiseaux. Après un réquisitoire qui l'accuse de magie et de desseins néfastes à l'encontre des oiseaux, Dyrcona est condamné à être mangé par les mouches. Il est libéré de justesse par l'intervention de César, ancien perroquet de sa cousine qui témoigne de sa bonté, attestée par le fait qu'il l'avait libéré autrefois. Relâché, Dyrcona repart et il surprend par hasard les confidences des arbres parlants, avant d'assister au combat d'une salamandre et d'un rémora; un vieillard rencontré à ce moment même, qui n'est autre que Thomas Campanella, lui explique l'enjeu de ce combat, qui est la lutte du feu contre la glace, appelée pour protéger les arbres. Campanella expose ensuite à Dyrcona les conditions dans lesquelles les âmes des philosophes survivent sur le Soleil. Il lui montre enfin les cinq fontaines des cinq sens qui alimentent les trois fleuves de l'imagination, de la mémoire et du jugement. Après avoir rencontré une jeune femme venue du royaume des Amoureux, les deux hommes accueillent l'âme de Descartes; à ce moment s'arrête le texte, inachevé.

 

La contestation politique se dessine ici plus nettement que dans les États et Empires de la Lune; l'influence de la Cité du Soleil de Campanella y est sans doute pour quelque chose; le philosophe italien intervient d'ailleurs «en personne» pour guider Dyrcona sur le Soleil. Mais cela est aussi très sensible dès les premières pages, où l'on voit le narrateur aux prises avec la justice de Toulouse. L'esquisse d'une véritable course poursuite, mêlée d'éléments qui évoquent les romans de gueuserie, nous ramènent sur terre, avec tout le réalisme et la violence que cela comporte (voir notamment la saisissante description de la prison): l'intolérance de la pensée instituée à l'égard des informations venues de la Lune est sévèrement critiquée. Cet épisode liminaire, loin d'être un hors-d'oeuvre, dénote l'importance de l'enjeu d'une pensée nouvelle: «Ayant décousu le paquet, et au premier volume qu'ils ouvrirent s'étant rencontré la Physique de M. Descartes, quand ils aperçurent tous les cercles par lesquels ce philosophe a distingué le mouvement de chaque planète, tous d'une voix hurlèrent que c'étaient les cernes que je traçais pour appeler Belzébuth.» La fuite qui s'ensuivra donne lieu à une expérience particulière du voyage, à la façon d'un picaro, que Dyrcona commente en ces termes: «Enfin j'appris que la gueuserie est un grand livre qui nous enseigne les moeurs des peuples à meilleur marché que tous ces grands voyages de Colomb et de Magellan.»

 

Cela dure le temps de traverser Toulouse, mais on ne manque pas d'être frappé par cette allusion aux grands voyages: Dyrcona est, à sa manière, un picaro de l'espace, et ses malheurs continueront sur le Soleil, où une autre justice le mettra en prison et le jugera. Il sera «gueux», par son humanité même, aux yeux de la république des Oiseaux. Il lui faut surtout se garder d'avouer qu'il est homme pour avoir la vie sauve. Comme sur terre, il est accusé de sorcellerie: «Or, vous savez, Messieurs [c'est la perdrix qui parle aux juges], que de tous les animaux il n'y a que l'homme seul dont l'âme est assez noire pour s'adonner à la magie, et par conséquent celui-ci est homme.»

 

Cette insistance sur la justice et ses aberrations, sa relativité et son aveuglement, fait de ces épisodes, sur la Terre comme dans le Soleil, une part significative du roman. Les imperfections propres à la république des Oiseaux renvoient à celles du monde terrestre; en cela, l'Autre Monde, pas plus sur le Soleil que sur la Lune, n'est une utopie traditionnelle.

Les sources philosophiques demeurent pourtant celles qui nourrissaient la première partie: Gassendi et Lucrèce sont paraphrasés, particulièrement lorsqu'un petit homme, sur la «tache» du Soleil, expose les principes de son univers à Dyrcona. On retiendra par exemple l'idée que la mer est la sueur de la terre, et que les «coctions» successives de la boue qui en résulte, par le mélange de chaleur et d'humidité, aboutissent à l'enfantement de l'homme par des matrices terrestres (Lucrèce, De rerum natura, V). Dans le même passage apparaît l'idée des trois âmes (âme végétative, puissance vitale, puissance de raisonner), que défendait Gassendi. La transparence progressive du héros et de sa machine à l'approche du Soleil reflètent aussi une conviction de Lucrèce, pour qui la matière est plus subtile et plus éthérée à proximité de cet astre. L'étonnant combat de la salamandre [le feu] et du rémora [la glace], que commente Campanella, confirme cette conception élémentaire des principes de l'univers. L'exposé final sur la venue des âmes dans le Soleil renvoie à une hiérarchie toute matérielle des atomes: les âmes des philosophes, plus subtiles et raffinées que celles des autres hommes, ne rejoignent pas la masse du Soleil mais y demeurent comme habitants, «pour ce que la matière qui les compose, au point de leur génération, se mêle si exactement, que rien ne la peut déprendre: semblable à celle qui forme l'or, les diamants, et les astres, dont toutes les parties sont meslées par tant d'enlacements, que le plus fort dissolvant n'en sçauroit relâcher l'étreinte».

 

La pensée problématique que Cyrano offre au lecteur, dont les commentateurs ont souvent relevé les contradictions, s'épanouit pleinement dans la fiction: au-delà de ces contradictions demeurent l'affirmation d'un matérialisme total, la confiance dans la pensée scientifique nouvelle (appuyée néanmoins sur les prestiges de l'imagination), et enfin la critique des superstitions et des institutions humaines. S'il est un «autre monde» qui hante la pensée de Cyrano, il s'agit sans conteste du monde nouveau qu'un esprit curieux et inventif pouvait espérer voir naître de la révolution copernicienne et de l'univers infini qu'elle révélait.

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