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Hergé inspirateur de ma série 1956RG-2017RE

Il y a, sans qu’on le sache vraiment, des hommes, des femmes, des livres, de la musique, des parfums , des odeurs, des goûts qui nous accompagnent. Ulysse, d’Artagnan, les Beatles , Guevara, l’eau de Cologne , la lavande dans l’armoire, l’odeur de l’éther, des œuvres lu et relus, des chansons que nous n’écoutons plus car elles sont gravées dans notre mémoire. Il en est ainsi d’un homme et de son œuvre: Georges Rémi dit Hergé.

Hergé

Je passait dans une ruelle d’un blanc éclatant à l’heure où le soleil est au zénith. Une lumière douloureuse, qui lui donnait la dimension d’un labyrinthe d’arêtes tranchantes. J’en fus aveuglé et je dus fermer les yeux et baisser la tête pour me soustraire à ce trop plein de blanc.

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Il me vint immédiatement à l’esprit que le blanc était la «couleur» de ma dépression… Je n’était capable que de photographier des chaises. Toujours vides. Visiblement la fête était terminée, tout le monde était parti. Il ne restait rien que des chaises plus ou moins bien rangées. Je vivais alors un moment de crise, de doutes et de remise en question. Peu importe la cause j’étais à cet endroit pour en quelque sorte me laver et revenir à la lumière.

Cet éblouissement induisit une association d’idées surprenante: Blanc , dépression, Hergé, 1956, Tintin au Tibet. Mon album préféré de Tintin avec le Lotus bleu.

Tintin

De tous les albums d’Hergé consacrés à Tintin, Tintin au Tibet, est sûrement le plus personnel.

Le sujet en est le sens de l’amitié, une quête du Bien qui raconte l’histoire d’un homme prêt à donner sa vie pour sauver un ami dont tout laisse à penser qu’il est mort. C’est une allégorie moderne et laïcisée du bon samaritain à dimension philosophique et spirituelle inégalée dans les autres albums de la série.

On ne peut comprendre véritablement une œuvre sans rien connaître de son auteur au moment où il l’écrit. Or, précisément, Tintin au Tibet fut écrit à une époque de remise en cause profonde et douloureuse de son auteur.

Depuis 1956, Hergé marié à Germaine Kieckens depuis 1932, est tombé amoureux d’une jeune collaboratrice des studios Hergé: Fanny Vlamynck.

Parallèlement, il vient de vivre une période de retraite et de méditation personnelle à l’abbaye de la Trappe de Scourmont puis, toujours en solitaire, sur les rives du lac Léman en Suisse. Âgé d’une cinquantaine d’années, il semble faire un bilan de sa vie et des valeurs catholiques qui l’ont animé depuis sa jeunesse. Hergé rentre en pleine période d’introspection.

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Il vit une véritable crise intérieure. Il connaît une série de rêves obsédants et récurrents qui le poussent à consulter un psychanalyste. Hergé le racontera lui-même plus tard .

«A cette époque, je traversais une véritable crise et mes rêves étaient presque toujours des rêves en blanc et ils étaient très angoissants. J’en prenais note et je me souviens de l’un deux où je me trouvais dans une espèce de tour constituée de rampes successives. Des feuilles mortes tombaient et recouvraient tout. A un certain moment, dans une sorte d’alcôve d’une blancheur immaculée est apparu un squelette tout blanc qui a essayé de m’attraper. Et à l’instant, tout autour de moi, le monde est devenu blanc.»

Certaines questions personnelles le taraudent et sont à l’origine d’une véritable crise intérieure: qu’est-ce que faire le Bien? Quel chemin m’indique ma conscience? Abandonner mon épouse après près de 20 ans de vie commune et laisser mes sentiments me conduire à épouser Fanny? Ou me condamner à passer à côté d’un nouveau bonheur?

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Ces rêves en blanc, étouffent Hergé et il a besoin de s’en libérer. La création de Tintin au Tibet va ainsi tenter de répondre à un profond besoin de métamorphose de son auteur. Une BD chef-d’œuvre (clarté, simplification, dépouillement, sobriété), un héros vertueux (la prudence, la justice, la tempérance et la force), vertus qui se trouvent aussi associées aux vertus théologales qui semblent plus que jamais habiter Tintin (la foi, l’espérance, la charité). C’est ,du point de vue spirituel, une véritable démarche de sainteté que semble poursuivre Tintin. Le saint au sens chrétien est celui qui va jusqu’au bout de la révélation de la vérité du Christ, comme Tintin va jusqu’au bout de la révélation qui lui fait apparaître son ami Tchang comme vivant. Pour tendre vers la sainteté, il faut se rappeler sa condition humaine.A ccepter sa faiblesse, afin de pouvoir la transcender; par ailleurs cette démarche vers la sainteté est avant tout intérieure et singulière; elle ne peut se vivre qu’en solitaire.

 

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L’album s’ouvre sur un étrange songe au cours duquel Tintin croit voir son ami Tchang l’appeler à son secours. Alors que dans tous les autres albums l’intrigue était lancée par un événement extérieur qui alertait Tintin (une statuette volée, une étoile qui grossit, des savants qui tombent malades, l’enlèvement de Tournesol, etc.), l’intrigue est ici comme intériorisée par le héros lui-même. Un rêve «hallucinant de vérité» commande à Tintin d’agir et d’aller sauver Tchang. C’est bien dans ce songe que Tintin puise la foi que Tchang a survécu à la catastrophe. Cette espérance lui permettra de soulever les montagnes, ou plutôt de gravir les versants de l’Himalaya…

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Le Rêve accompagne les démarches de sainteté dans de nombreux récits de la tradition chrétienne – Saint-Martin auquel le Christ apparaît en songe: «ce que tu as fait en couvrant ce mendiant de ton manteau, c’est à moi que tu l’as fait.» Le chemin vers la sainteté exige aussi un long dépouillement de soi, de ses vanités, de ses appréhensions et de ses a priori. Ce n’est sans doute pas un hasard si cette aventure de Tintin se déroule sur les plus hautes montages du monde, car la montagne est, par excellence, le cadre d’une géographie mystique, le lieu du dépassement de soi. Le blanc qui entoure Tintin, et qui était la couleur obsédante des rêves d’Hergé à cette période de sa vie, apparaît alors comme l’allégorie de cette pureté que semble atteindre son héros.Le saint, de par son rayonnement, exerce aussi une autorité morale qui est de nature à transfigurer radicalement ses proches.

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Dès la première page, le capitaine Haddock nous apprend que les randonnées en montagne ne l’intéressent pas: «s’obstiner à grimper sur des tas de cailloux, ça me dépasse»; c’est pourtant ce qu’il va faire en accompagnant Tintin au Tibet – Mais la force de l’ amitié le pousse à surmonter son dégoût pour la marche et à devenir, à sa manière, un homme de Bien. Le guide Tharkey se transforme également au cours du récit. Après avoir abandonné Tintin et Haddock, il revient «Toi jeune sahib blanc, et toi risquer ta vie pour sauver jeune garçon jaune», «Moi, faire demi-tour et revenir vers toi». En somme, Tintin est celui pour lequel on sort de ses habitudes, de son confort, afin de le suivre, comme on suit un saint parce qu’une force morale nous enjoint à le faire.

Le mot de la fin semble nous être donné par le lama qui vient à la rencontre de Tintin et de Tchang: «Ce que tu as fait, peu d’hommes auraient osé l’entreprendre. Sois béni, Cœur Pur, sois béni pour la ferveur de ton amitié, pour ton audace et pour ta ténacité.»

Tintin acquiert ainsi une nouvelle dimension, le héros s’est transfiguré; il s’engage dans une démarche de sainteté, à la recherche d’une forme de bien absolu.

En se posant finalement cette question qui parcourt l’album, «Qu’est ce que le Bien?», Hergé indique encore une autre piste de lecture. Il représente le Yéti aveuglé par le flash de l’appareil photographique que Tintin déclenche fortuitement… et l’on déduit qu’à cette distance, et dans ces conditions, la photo prise est illisible. On peut percevoir dans cette scène une analyse avant-gardiste du rejet de «la société du spectacle» dans laquelle l’hyper-médiatisation nous a fait entrer. L’insistance répétée du capitaine Haddock pour que Tintin prenne absolument une photographie du Yéti illustre bien cette avidité de voyeur qui recherche avant tout le spectaculaire. Sauf que le vrai Bien ne peut pas se montrer en spectacle. Cette scène fait d’ailleurs écho à une autre scène de même nature et qui la précède: lorsque Tintin, rescapé dans la lamasserie, raconte son aventure au grand précieux, il n’arrive pas à formuler le but réel de son expédition car il est interrompu de façon incongrue par le capitaine Haddock. Le véritable Bien ne peut pas s’exposer. Il échappe à toute explication et relève presque de l’absurde, simplement parce qu’une force irrépressible, qui vient dont on ne sait où, appelle à l’accomplir. Il est irréductible à une loi civile ou religieuse, à un quelconque sens tiré de la raison, et lorsque l’on croit le saisir, il nous échappe toujours.Tintin au Tibet, paru en 1960, est pour Georges Remi l’album de la sagesse personnelle comme Le Lotus bleu, paru en 1936, a été l’album de la maturité politique et du dépassement des a priori.

En tant que pyrénéen je me dois de terminer sur cette anecdote et ce commentaire.

Georges Rémi n’était certes pas un grand adepte de randonnées en montagne, mais adolescent, lorsqu’il était chef de patrouille chez les scouts, il avait randonné autour du cirque de Gavarnie. Comme le dit Pierre Assouline: «le cirque de Gavarnie fut son Himalaya»

En tant qu’homme et artiste je me dois de rendre hommage à Georges Rémi qui m’a inspiré pour cette série, qui m’a aidé (il n’est pas le seul) à retrouver la lumière comme le montre la deuxième partie de la série et à l’égal de Dumas ou Homère a participé à faire de moi ce que je suis.

Cette série autobiographique est visible ici http://www.pixbyroland.com/galerie/1956rg-2017re-serie-noir-blanc-hommage-melancolique/

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