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GERT SALMHOFER OU LA CONSCIENCE DU SIGNE

                          GERT SALMHOFER OU LA CONSCIENCE DU SIGNE

 

Du 26-02 au 16-03-14, l’ESPACE ART GALLERY (35, rue Lesbroussart, 1050, Bruxelles) propose l’œuvre de l’artiste Autrichien GERT SALMHOFER dans une exposition intitulée PALIMPSESTE.

Quelle est la nature profonde des œuvres de GERT SALMHOFER ? Cette question est fascinante par l’impact de l’interrogation que chacune d’elles suscite. Au-delà de la dimension symbolique et humoristique qui se dégage de ses thématiques, c’est avant tout une mise en conscience que l’artiste provoque chez le visiteur. Et cette interrogation sur la nature profonde de ses œuvres se retrouve exprimée par une savante technique mixte qui brouille les pistes du regard. Car brouiller les pistes s’avère être la mission première de l’artiste, précisément pour inciter le regardant à prendre conscience par la réflexivité issue de l’œuvre (servant de miroir), de sa propre condition humaine, laquelle par toute une myriade de symboles, devient à la fois philosophique, par conséquent politique. Cette technique mixte déconcerte le visiteur dans la perception de ce qu’il a sous les yeux car à de nombreuses reprises, la tentation de vouloir toucher la surface du tableau le saisit, exaspéré par la nature, en apparence absconse de ce qu’il voit. L’artiste insiste, d’ailleurs, pour que l’on touche ses œuvres afin que la dimension tactile fasse partie du vocabulaire cognitif. Est-ce encore de la peinture que le visiteur regarde ou bien est-ce autre chose ? Au fur et à mesure qu’il s’avance, des détails prenant la forme de ciselures et de fines incrustations apparaissent, révélant plus que de la peinture au sens classique du terme, de la matière peinte, donnant naissance à une œuvre dont la consistance est pleinement picturale dans laquelle chaque élément occupe son propre espace.

EUROPICTUM (60 x 85 cm – technique mixte – 2003)

 

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Avec GERT SALMHOFER, le « tableau » perd de son esprit strictement esthétique pour aborder une dimension essentiellement tactile. Cette dimension tactile se décline à partir d’un cinétisme presque abyssal où tout se confond dans tout, créant un sentiment d’effondrement.

PALIMPSESTE SPIRALE XVIII (75 x 74 cm – technique mixte – 2013)

 

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ainsi que STELE (65 x 85 cm – technique mixte)

 

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mettent en exergue la problématique de l’écrit.

PALIMPSESTE SPIRALE XVIII prend, de prime abord,  l’aspect d’une sorte de jeu de l’oie pour former une spirale à l’intérieur du cadre. L’artiste nous offre un panorama historique de l’écriture. Il aborde le hiéroglyphe égyptien, l’écriture cunéiforme des cylindres-sceaux mésopotamiens, les glyphes aztèques, la calligraphie chinoise, etc. Notons la présence de la figure humaine comme référant à la fois historique et discursif accompagnant les glyphes égyptiens et aztèques ainsi que sur des coupures de presse contemporaines.

Même discours avec STELE qui nous montre une pièce antique rappelant vaguement la pierre de Rosette égyptienne avec son cortège d’écritures appartenant à l’Histoire, encadrée d’une page de journal.

URBANO (104 x 95 cm – technique mixte -   1996  )

 

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est une symbiose entre une coupe de Sainte-Sophie de Constantinople et deux buildings modernes. Les couleurs sont tendres : le blanc pour les immeubles, le bleu pour le ciel ainsi que pour l’édifice byzantin, le jaune – de part et d’autre de la composition – pour renforcer le rythme ascendant de l’ensemble scandé par la présence des fenêtres. Le rouge vif de la grue précise toute la symétrie de l’immeuble. Conçue en plan, l’artiste confère à Sainte-Sophie le rôle d’arrondir les angles en la contenant à l’intérieur d’une structure carrée, elle aussi de couleur bleu.  Juste en dessous de l’édifice figure, en relief, le plan basilical d’origine de l’actuelle mosquée.

PICTOTHEQUE (91 x 100 cm – fermé) – (45 x 100 – 90 x 105 cm) (45 x 100 cm – ouvert –technique mixte – 2001)

 

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Ce triptyque est un condensé de symbolisme. Il pourrait même être l’expression d’une parabole, en ce sens qu’il appelle de ses vœux un futur lequel verrait l’Art contemporain atteindre la sphère du Sacré, en se libérant du Musée, que l’artiste considère comme une boîte de conserve. Cette œuvre est une satire sociale prenant la forme d’un empilement de musées (le profane), matérialisé à l’intérieur d’un retable (le sacré). La partie  extérieure des panneaux nous montre la façade du Louvre devant laquelle trône la fameuse Pyramide de l’architecte Leoh Ming Pei. En haut, à droite sont représentés le devant et l’arrière du Centre Beaubourg.
Tandis qu’en haut, à gauche figurent la coupe du Musée Guggenheim de Bilbao ainsi que celle du Musée Ludwig de Cologne. 

 

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L’intérieur du triptyque est parsemé d’images-référents faisant partie du patrimoine mondial de l’Art, telles que le DAVID de Donatello, l’HERMES de Praxitèle, La BATAILLE de Paolo Uccello, le portrait d’ELIZABETH TAYLOR de Warhol ou l’URINOIR de Marcel Duchamp. Des phrases issues de propos d’artistes majeurs sont reprises ça et là à l’intérieur du triptyque : il y a plus d’esthétique dans un sous-marin nucléaire que dans tout l’art contemporain. (Joseph Beuys).

Comme nous l’avons spécifié plus haut, le pilier qui soutient l’édifice créatif de GERT SALMHOFER, c’est la force du symbole : la symbolique est une signature récurrente dans l’œuvre de cet artiste. Elle est à la fois discrète et présente. Néanmoins, transcendant un langage déjà évocateur, à l’exemple de la structure en plein effondrement d’EUROPICTUM,

 

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cette symbolique trouve sa destination percutante dans la présence de ce drapeau de l’Union Européenne flottant en haut à droite de la composition : le symbole est l’image d’une E.U. en pleine déliquescence. Il en va de même pour URBANO où la référence : « une réalisation SALM et HOFER – SARL promoteurs » associe, par le biais de l’humour, le sacré de la basilique primitive de Sainte-Sophie convertie en mosquée avec le gratte-ciel moderne, aliénant et concentrationnaire, défigurant le paysage humain. Le symbole parcourant l’ensemble de sa peinture est politique au sens étymologique du terme : dans le premier cas, il dénonce l’instabilité de l’U.E. Dans le second cas, il prend en compte la polis (la cité), dans son acception humaine, intellectuelle et dynamique. Bien que l’artiste n’ait jamais étudié l’architecture, il ne cesse de s’y intéresser car ce qui est urbanistique témoigne de l’activité humaine.  Sa démarche, comme nous l’avons souligné, se distingue par le désir de créer de la confusion en brouillant les pistes cognitives tout en aboutissant vers une lecture simple. Une foule de signes constellent son œuvre. Ces signes, posés pêle-mêle dans l’espace pictural, sont les composantes d’une sémantique appartenant à l’Histoire, dans une perspective laquelle ne devient évolutive que dans la culture personnelle du visiteur. Aucune chronologie ne régit ses tableaux. Ici encore, le symbole se manifeste dans la représentation : la spirale constituant l’œuvre éponyme, formée d’une myriade de signes est une image de l’infini dans de nombreuses mythologies. Il y a, par conséquent, une adéquation entre le bouillonnement créatif de l’écrit à l’intérieur de la forme et la spirale aboutissant sur l’infiniment possible. Il en va de même avec STELE où le réceptacle du signe (la pierre – l’archaïque) débouche sur la souris de l’ordinateur censée contenir le support technologique moderne ordonnant le savoir.

Comme à son habitude, l’humour n’est jamais loin : une image de Dominique Strauss-Kahn sert de clin d’œil au regardant. Cet engouement à brouiller les pistes est un incitatif à l’endroit du visiteur à rechercher la vérité du discours par lui-même. On retrouve cette volonté de l’égarer volontairement même dans la façon qu’a l’artiste de cacher sa propre signature apposée sur le tableau, en la « symbolisant » par le monogramme « S » atrocement déformé, placé généralement du côté gauche de la composition, auquel répond sur la droite, la date d’achèvement. 

La consistance des tableaux exposés qui fait que l’œil du visiteur est trompé par ce qu’il voit, en ce sens qu’il n’arrive pas toujours à déterminer la matière avec laquelle l’œuvre a été réalisée, est en fait une pâte que l’artiste fabrique lui-même. Lorsque celle-ci est sèche, il taille dedans et la ponce ensuite. De sorte qu’il n’est pas toujours aisé de reconnaître l’élément peint du sculpté, comme pour EUROPICTUM, où l’architecture enchevêtrée est en réalité, un collage extrêmement subtil, associant peinture, bois et pâte (la colonne de droite, contrairement à ce que l’on pourrait imaginer, n’est pas de la peinture à l’huile mais bien de la pâte travaillée). D’où une forme de cinétisme qui n’a rien à voir avec la perspective proprement dite.

Sa peinture est également une œuvre philosophique, en ce sens qu’elle propose tel thème, préalablement exploré, pour le reproposer sous un éclairage nouveau, d’où l’intitulé de son exposition : PALIMPSESTE, à savoir, un     manuscrit sur parchemin dont on a préalablement gratté le contenu existant pour en rédiger un  autre. Cette technique était usitée par les moines du 7ème au 12ème siècle. L’inconvénient majeur à cette façon de procéder est que tout ce qui fut écrit auparavant s’avéra définitivement perdu.

Du grec ancien, « Palipsêstos » signifie « gratter à nouveau ». Or, le grattage fait précisément partie de la technique d’approche du matériau par l’artiste, lorsque la pâte qu’il a conçue est à demi-sèche et prête à être poncée.

Le parcours  de GERT SALMHOFER est typique de l’artiste ayant fréquenté les Beaux Arts mais qui pour trouver sa propre voie a dû s’en distancier.

Excellent orfèvre au demeurant, il habite Bordeaux. Lorsqu’on lui demande de nous parler de ses projets immédiats, il nous répond tout de go : « retourner à Bordeaux ! »  Humour quand tu nous tiens…

PALIMPSESTE participe d’une volonté de connaissance dans laquelle le signe, produit culturel, renouvelé par l’œuvre dans son intemporalité, devient, par le biais d’une fine poésie, le véhicule d’une conscience qui nous implique, au détour de chaque regard que nous portons sur l’œuvre profonde et prolifique de GERT SALMHOFER.

François L. Speranza.

 

 

Une publication
Arts
 
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Lettres

N.-B.: 

Ce billet est publié à l'initiative exclusive de Robert Paul, fondateur et administrateur général d'Arts et Lettres. Il ne peut être reproduit qu'avec son expresse autorisation, toujours accordée gratuitement.

 

A voir: 

Focus sur les précieux billets d'Art de François Speranza

 

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François Speranza et Gert Salmhofer: interview et prise de notes sur le déjà réputé carnet de notes Moleskine du critique d'art dans la tradition des avant-gardes artistiques et littéraires au cours des deux derniers siècles (26 février 2014).

(Photo Robert Paul)


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Commentaires

  • ADMINISTRATEUR GENERAL

    L’artiste autrichien Gert Salmhofer a exposé ses œuvres dans la galerie en 2014. Et son billet d’art du critique d’art François Speranza à été publié dans le « Recueil n° 3 de 2014 » par « Les Éditions d’art EAG » dans la Collection « États d’âmes d’artistes » en 2016.

    Lien vers la vidéo lors du vernissage de son exposition dans la galerie :

    https://youtu.be/hIaZ3oeF8NI  

  • Idylle sur Manhattan

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  • Explications captivantes, à défaut de pouvoir ou plutôt d'avoir pu assister à l'exposition. Merci à l'auteur.

  • je suis désolée de ne pas pouvoir voir ces oeuvres.  Drôlement captivant. Et merci à François Speranza!

  • Voyages à travers le temps et les consciences. Bravo !

  • Merci à François Speranza de décoder, avec talent, la lecture des œuvres présentées dans "Espace Art Gallery"

    Très belle exposition, félicitations à l'artiste.

    Adyne

  • C'est une peinture idéologique, intéressante à décoder. La première déjà, sous le drapeau de la Communauté européenne, un effondrement.  La deuxième, la diversité du monde, chargée de symboles dans un tourbillon, la troisième : sous un échantillon d'écriture , la souris d'un ordinateur, même contraste dans les trois peintures suivantes dans lesquelles le côté artistique de l'ancien cède la place à la  linéarité du moderne.  C'est pourquoi je dis idéologique et critique.

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