Démocratie
De : Michael Frayn |
du 13 au 18 Mars |
Mise en scène, scénographie et lumières : Jean-Claude Idée |
Dramaturgie : Armand Delcampe |
Avec Jean-Pierre Bouvier, Xavier Campion, Emmanuel Dechartre, Alain Eloy, Jean-François Guilliet, Frédéric Lepers, Frédéric Nyssen, François Sikivie, Jacques Viala, Alexandre von Sivers |
21 octobre 1969 : « La guerre contre les peuples et contre son peuple est enfin perdue. Créons une Allemagne d’Amour et de Justice!» C’est le vœu de Willy Brandt, personnage charismatique fascinant. Les visages émaciés des gens de l’Est sont tournés vers lui. Il a le geste pacificateur, l’heure viendra! De l’autre côté du mur, les Libéraux ne veulent pas de traité avec L’Allemagne de l’Est et préfèrent les accords avec les Démocrates Chrétiens. Dans la solitude du pouvoir, Willy Brandt tient bon : «ça va ça vient les coalitions, ça n’a pas de racines ». Willy Brandt est soutenu par le compagnonnage qui s’est établi avec son assistant personnel Günter Guillaume, un espion de l’Est qui a su gagner sa confiance. Dixit Günter Guillaume : Willy Brandt représente le rêve d’une démocratie parlementaire, « une fête qui ne finit pas ». Günter ou Guillaume selon l’interlocuteur, celui de l’Est ou de l’Ouest.
Arno K., le commanditaire à qui Günter confie les avancées de sa mission est partout. Il joue un personnage machiavélique qui symbolise à merveille la RDA et la surveillance constante du régime communiste. Big Brother invisible pour les comédiens, il se glisse au milieu de toutes les conversations. Jacques Viala l’incarne diaboliquement bien.
Huis clos sur l’immense plateau de l’Aula Magna. Les personnages sortent régulièrement de l’ombre pour jouer leur partition sous un spot de lumière. Cela nous donne à voir toutes les coulisses du pouvoir… qui tue. On revivra l’histoire éternelle de la roche tarpéienne. Les services secrets de la République Démocratique ont décidé, en accord avec l’Ouest, de saborder (Günter) Guillaume pour faire sauter le chancelier et son Ostpolitik… Dans l’ombre, veille le Mazarin : « oncle Herbert », Herbert Wehner, chef du SPD qui attend jalousement de présenter son favori, Helmut Schmidt aux élections. « La démocratie, c’est comme la spontanéité, elle a besoin d’être contrôlée. »
Et au détour de la guerre du Kippur, de la crise pétrolière, le 7 mai 1974, le chancelier qui ne chancelle pas, Prix Nobel de la Paix, démissionnera, toute honte bue. Guillaume, son assistant personnel a été démasqué quinze jours plus tôt comme espion de la Stasi, les services secrets de la RDA.
Tout le monde s’observe, épie, conspire et s’approprie des lambeaux de la démocratie, cet humble animal qui s’offre en pâture aux plus gourmands. A travers les personnages, ce sont les rouages de la politique, les contradictions, les enjeux, les désespoirs qui exposent leur vérité crue. La phrase de Walt Whitman « Me contredis-je ? Très bien alors, je me contredis. Je suis vaste, je contiens des multitudes. » est un sésame dans la bouche de Willy Brandt. Et Guillaume d’éprouver paradoxalement une admiration sans bornes pour son maître et ami. L’heure sera grave quand les silences de Willy « ne diront plus rien ». Il aura été abandonné. Dans l’aurore norvégienne, pendant ses dernières vacances familiales avec Willy, Guillaume se demande « Est-ce lui que je vois dans la lumière norvégienne ou moi-même ? » Une question intime qu’aucun vrai espion ne se pose. La fête est finie.
Cette représentation théâtrale est soigneusement orchestrée. Le mur du décor est un personnage muet qui nous fixe du haut de son mirador. Les comédiens triés parmi les meilleurs (Alexandre Von Sivers, Xavier Campion… ) s’emparent du texte dense et rendent les scènes historiques très évocatrices comme la tombée à genoux de Willy Brandt à Varsovie. Le spectateur ressort de la salle heureux d’avoir parcouru une page complexe de l’histoire rendue palpable par la dynamique théâtrale. Heureux que les murs finissent toujours par tomber.
Les prestations de Jean-Pierre Bouvier (Willy Brandt) et d’Alain Éloy, l’espion au cœur qui balance, sont brillantes et passionnées. L’AULA MAGNA à Louvain-la-Neuve se souviendra longtemps de la chute de ce mur tant décrié par Willy Brandt!
http://www.atjv.be/fr/saison/detail/index.php?spectacleID=475
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