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La littérature byzantine

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Le temps des incertitudes (395-610)

De la mort de Théodose à l'avènenement d' Héraclius, on compte deux siècles pendant lesquels Byzance hésite encore entre sa vocation orientale et le mirage d'une restauration de l'Empire universel où s'épuisera Justinien. Constantinople n'est pas encore le centre unique d'un empire où le grec n'est pas encore la seule langue de culture, où la foi de Chalcédoine n'a pas encore rallié toutes les âmes. La plupart des éléments politiques, sociaux, culturels qui formeront l'Empire proprement byzantin apparaissent durant cette période, mais encore mêlés aux structures caduques héritées du passé.
Cette incertitude se reflète dans la vie intellectuelle, qui se partage entre les vieux centres de l'hellénisme: Alexandrie, Antioche, Gaza où prospère une célèbre école de rhétorique, Athènes où meurt l'Université païenne. Du paganisme religieux il ne reste à peu près rien après le règne de Justinien: mais les curiosités esthétiques de l'alexandrinisme touchent encore beaucoup d'esprits. Le dernier romancier antique, Achille Tatios, le dernier épistolographe, Aristénète, sont probablement tous deux du Ve siècle: ils trouvent des lecteurs, qui ne sont sûrement pas tous des païens. Ni l'un ni l'autre n'ont éprouvé le besoin de changer quoi que ce soit aux formules traditionnelles des genres qu'ils ont cultivés. On peut en dire autant des poètes profanes: auteurs de petites épopées dans le goût alexandrin, comme Tryphiodore, ou Colouthos, qui versifia (fin du Ve siècle?) L'Enlèvement d'Hélène; épigrammatistes surtout. L'épigramme est peut-être le seul genre de poésie profane qui soit resté en honneur jusqu'à la fin de la période byzantine. Elle connaît un regain de faveur au VIe siècle, grâce au cercle littéraire réuni autour d'Agathias le Scolastique (536-582 env.), d'où est sorti le Kyklos, recueil d'épigrammes anciennes et nouvelles disposées par genres et futur noyau de l'Anthologie palatine. C'est à ce cercle qu'appartenait entre autres Paul le Silentiaire, officier de la cour de Justinien, poète sensuel et passionné qui, en d'autres temps, eût pu être un grand élégiaque.
La tradition alexandrine se perpétue aussi dans le domaine des sciences, où l'on voit déjà poindre, cependant, un goût très byzantin pour les florilèges et les abrégés. On peut citer les monumentales Ethnika du géographe Étienne de Byzance, malheureusement perdues, le traité sur l'astrolabe de Jean Philoponos, précurseur de la mécanique moderne, l'Onomatologos, ou dictionnaire des écrivains célèbres, d'Hésychios de Milet (VIe s.), surtout la Médecine en douze livres d'Alexandre de Tralles, frère de l'architecte de Sainte-Sophie, remarquable par l'importance qu'y prend l'observation méthodique.
Si la fermeture de l' université d' Athènes en 529 porte le dernier coup à la philosophie païenne, il faut se rappeler que, depuis plusieurs siècles, celle-ci occupait une place secondaire par rapport à la rhétorique dans l'éducation grecque. Loin de proscrire la philosophie, l'époque pré-byzantine lui a ouvert une nouvelle carrière en l'appelant à fournir une base rationnelle aux doctrines qui s'affrontaient dans les grandes batailles dogmatiques. Certains esprits tâchent d'appliquer à cette fin la méthode d'Aristote, sa logique et ses conceptions scientifiques, jetant ainsi les bases de la scolastique: c'est le cas de Jean Philoponos, païen converti, qui réfuta la théorie de l'éternité du monde (De la création du monde), et de Léontios de Byzance (475 env.-542), qui chercha une formulation philosophique du dogme des deux natures du Christ. Mais c'est surtout au platonisme et au néo-platonisme que les philosophes de ce temps ont demandé d'unir la rasion et la foi. Leur influence est sensible dans l'oeuvre des maîtres de l'école de Gaza (Énée de Gaza, 450 env.-534; Procope de Gaza, 465-529 env.; Zacharie le Scolastique), d'ailleurs plus rhéteurs que philosophes, et surtout dans celle du pseudo-Denys l'Aréopagite, fondateur de la théologie mystique.

La littérature religieuse

La période de répit qui sépare la crise monophysite de la crise monothélite voit fleurir la littérature ascétique, genre appelé à un grand avenir à Byzance. Jean Climaque (525 env.-605), dans L'Échelle du paradis, enseigne à ses moines du Sinaï l'impassibilité par la méditation de la mort; Jean Moschos (550 env.-619) propose dans les anecdotes du Pré spirituel l'exemple des grands ascètes de Palestine. Tous deux sont d'origine orientale, tous deux écrivent dans une langue populaire. Ces deux traits se retrouvent dans l'hymnologie liturgique de cette époque, qui est remarquable par sa puissance et son originalité. Elle s'exprime dans un genre propre à Byzance, bien qu'il dérive probablement de modèles syriaques adaptés au public grec: c'est le kontakion, sorte d'homélie rythmée et chantée, dont les strophes, d'une structure métrique compliquée, se terminent toutes par le même refrain. En dehors de Romanos, bien peu d'oeeuvres des mélodes ou poètes de Kontakia nous sont parvenues: les plus remarquables, encore en usage dans l'office actuel, sont le Chant funèbre d' Anastase, et surtout l' Acathiste, hymne à la Rédemption et litanie à la Vierge, d'une luxuriante abondance. L'hagiographie enfin, autre genre à la fois religieux et populaire, trouve d'emblée son maître dans la personne de Cyrille de Scythopolis, moine de Palestine (514-557 env.), biographe de saint Sabas et des grands abbés de Terre sainte, qui, par le sérieux de sa documentation, fait figure de véritable historien.

L'histoire

L'histoire est en grand honneur dès les premiers siècles de Byzance, où elle se partage en deux genres bien distincts. D'un côté, on a les historiens proprement dits, qui limitent leur sujet à l'époque contemporaine et mettent en oeuvre avec intelligence, sinon toujours avec objectivité, une documentation de première main, dans la grande tradition des historiens classiques, dont le souvenir imprègne jusqu'à leur langue. Tels sont Procope et ses continuateurs: Agathias, déjà cité comme poète (Le Règne de Justinien); plus rhéteur que Procope, Ménandre le Protecteur, dont il ne reste que des fragments; Théophylacte Simocatta (Histoires), historien de Maurice. On peut leur adjoindre un historien ecclésiastique, Evagrios d'Épiphanie (né en 536) qui a su exposer avec clarté les conflits doctrinaux du Ve et du VIe siècle.
D'autre part, les chronographes, plus moralistes qu'historiens, s'adressent à un public populaire qu'ils prétendent édifier en retraçant - sans aucune critique, bien entendu - l'histoire de l'humanité depuis Adam, et en s'attachant surtout aux événements frappants: pestes, éclipses, séismes, naissances de monstres, etc. Ils sont liés entre eux, non par un lien de continuité, comme les historiens, mais parce qu'ils puisent tous plus ou moins à un fonds commun dont on peut suivre la formation jusqu'à Julius Africanus, au IIIe siècle. Ces chronographes sont encore rares au VIe siècle: le principal est Jean Malalas, moine d'Antioche, d'esprit fort particulariste, et le plus «vulgarisant» des écrivains de cette époque.

Du monothélisme à la crise iconoclaste (610-843)

Entre Héraclius et Michel III, dans ce qu'on a appelé ses «siècles obscurs», se situe l'étiage intellectuel de Byzance. Dans l'Empire appauvri, diminué, ravagé par des guerres continuelles, amputé des deux grandes métropoles d'Antioche et d'Alexandrie, déchiré par deux crises religieuses qui opposent l'orthodoxie à l'autorité impériale, la culture est en décadence; seule la science médicale est encore illustrée au VIIe siècle par Paul d'Égine, dont l'Abrégé de médecine servait encore à l'Université de Paris au XVIIIe siècle. Il n'y a pas d'historiens; du moins, à défaut d'un Procope, les campagnes d'Héraclius ont-elles trouvé leur Homère en la personne de Georges Pisidès, dont les poèmes patriotiques, notamment l'Héracliade, d'une facture très traditionnaliste, ont connu un succès durable. Vers la fin de cette période, donc à la veille de la renaissance macédonienne, paraît aussi une poétesse de valeur, Cassia.
La littérature de ce temps, essentiellement religieuse et surtout monastique, intéresse donc plutôt l'histoire de l'Église byzantine. L'orthodoxie est défendue contre le monothélisme par Sophronios de Jérusalem (mort en 638) et Maxime le Confesseur (582 env.-662). Celui-ci, influencé par le pseudo-Denys, expose dans son Livre ascétique une ascèse plus sereine que celle de Jean Climaque; on peut rattacher à son école Anastase le Sanaïte. Au siècle suivant, Jean Damascène (675 env.-754 env.), dans sa monumentale Source de la connaissance, dresse en face de l'iconoclasme un exposé systématique de la foi orthodoxe qui paraîtra définitif aux chrétiens de Byzance et qui met comme un point final à la dogmatique grecque. C'est encore à un moine et à un adversaire de l'iconoclasme, Théophane de Sygriana (mort en 817), que l'on doit une Chronographie célèbre et très tôt traduite en Occident; en l'absence d'autres sources historiques, elle nous est précieuse par l'ampleur de son information.
Mais l'influence monastique se fait sentir plus encore dans le domaine de l'hymnologie. Bien que le kontakion soit encore cultivé, notamment par Joseph l'Hymnographe et l'école sicilienne, il est progressivement évincé par un genre nouveau apparu au VIIe siècle, le canon, composition formée de plusieurs «odes» à strophes courtes, et dont le caractère n'est plus narratif ou dramatique comme dans le kontakion, mais purement lyrique. Chez le plus ancien maître connu du genre, André de Crète (660-720), Syrien d'origine, et auteur du Grand Canon de deux cent cinquante strophes, on sent encore l'influence de Romanos. Le canon reçoit sa forme définitive au siècle suivant, dans deux écoles d'hymnographes: celle de Syrie avec Jean Damascène et son frère Cosmas de Maïouma et celle du Stoudios, le grand couvent constantinopolitain, avec Théodore le Studite (759-826), connu aussi comme polémiste et écrivain ascétique, son frère Théodore et Théophane Graptoï (775-844 et 778-845). Leurs oeuvres forment la base des livres liturgiques actuels. Ce bouleversement de l'hymnologie traditionnelle s'explique, non seulement parce que le canon permet de varier le rythme et par conséquent la mélodie, mais aussi par un souci de plus grande précision dogmatique dans le texte de l'office. Cette précision a pour rançon une certaine impersonnalité de style.

Renaissance des lettres (843-1025)

Avec la dynastie macédonienne commencent pour les lettres byzantines des temps meilleurs, annoncés dès la fin de la période précédente par la réorganisation de l'Université sous Théophile, puis sous Bardas, ministre de Michel III. C'est alors seulement que, dans l'Empire en pleine expansion, Constantinople devient vraiment la capitale intellectuelle. Elle le doit surtout à deux personnages exceptionnels et aux cercles de lettrés réunis autour d'eux. Le premier est le patriarche Photius (820 env.-891) qui, bien plus qu'un homme d'Église, fut un érudit à la curiosité universelle. En tant qu'écrivain, il est surtout connu pour son Myriobiblion ou Bibliothèque, qui est en fait un ouvrage collectif: c'est le recueil des comptes rendus des livres, très divers, lus par les membres de son cercle. Son disciple, l'empereur Léon VI le Philosophe (866-912), fut comme lui un érudit, un mécène et un animateur. Mais son fils, l'empereur Constantin VII Porphyrogénète (905-959), le fut bien plus encore. Savant en toutes choses, polyglotte, artiste, poète même, il régna moins sur Byzance que sur une équipe de lettrés avec laquelle il édifia un vaste monument encyclopédique, dont la plus grande partie a malheureusement disparu. Ce qui nous en reste, notamment le traité De l'administration de l'Empire, le traité Des thèmes, surtout le Livre des cérémonies, est très précieux pour l'histoire des institutions et de la société byzantines. C'est certainement à l'impulsion donnée par Contantin VII à la compilation érudite que l'on doit des ouvrages comme le Lexique de Suidas (ou la Souda), la nouvelle Anthologie, réunie vers 900 par le poète Constantin Képhalas et dont une seconde édition sera l' Anthologie palatine, ou le vaste recueil hagiographique de Syméon Métaphraste (Xe-XIe s.), qui rhabille de rhétorique moralisante les anciennes vies de saints.
L'histoire aussi subit l'influence de Constantin VII; mais c'est parce que celui-ci met les historiens au service de la propagande impériale: c'est le cas des «continuateurs de Théophane», parmi lesquels Constantin VII lui-même, auteur d'une Vie de Basile Ier, et de Joseph Génésios, qui écrit quatre Livres des Rois (de Léon V à BasileIer); leur objectivité est évidemment sujette à caution. À la fin du Xe siècle, Léon le Diacre (né en 950), dans ses dix livres qui vont de 959 à 976, fait preuve d'une impartialité et d'une intelligence qui sont d'un véritable historien; son style fleuri et compliqué est imité d'Agathias. Sous le règne de Michel III, on trouve encore une chronique très représentative du genre, celle de Georges Hamartôlos ou Georges le Moine. Mais, après lui, la chronographie tend à se rapprocher de l'histoire parce qu'elle cesse d'être un genre monastique.
L'Église des IXe-Xe siècles, après la victoire des moines orthodoxes sur le haut clergé iconoclaste, tend, en effet, à se replier intellectuellement sur elle-même. Les lettres profanes n'entrent plus guère dans les couvents, où l'on cultive de plus en plus la théologie mystique. Le principal maître de cette époque est Syméon le Nouveau Théologien (949-1022), dont la mystique entièrement vécue rejette tout apport intellectuel autre que l'Écriture (Catéchèses, Chapitres théologiques). L'hymonographie est surtout vivante dans l'Italie grecque (école de Grottaferrata), qui est en retard sur la capitale. En revanche, l'hagiographie profite toujours de la vigoureuse impulsion que lui ont donnée dès le VIIIe siècle les persécutions iconoclastes. Mais elle se teinte volontiers de romanesque et de fantastique: certaines biographies sont de purs romans, comme la Vie de saint Théodore d'Édesse, la Vie de saint Léon de Catane, et surtout la Vie de saint André le Fou par le prêtre Nicéphore (début du Xe s.) qui est même un roman d'anticipation, car on y trouve un étonnant récit de la fin du monde.
On doit enfin signaler à cette époque la naissance d'une littérature populaire, favorisée par l'effacement de la littérature monastique, et aussi par les exploits militaires des souverains macédoniens, car elle se manifeste surtout par les chansons acritiques, sortes de cantilènes épiques célébrant les exploits des héros de la frontière, les acrites. Elles forment plusieurs cycles rattachés aux grandes familles de la noblesse militaire et provinciale. Mais celles qui nous sont parvenues, constamment transformées au cours des âges, sont aujourd'hui très difficiles à dater.

L'âge d'or (1025-1204)

Au point de vue de la culture, le «siècle des Comnènes» commence en fait avec le déclin de la dynastie macédonienne, après la mort de Basile II (1025); durant le long règne du plus grand souverain byzantin, sorte de moine-soldat peu ami des lettres, Byzance subit une éclipse intellectuelle. Après lui, la noblesse civile accède au pouvoir, et avec elle grandit l'influence de la bourgeoisie lettrée, dont MichelPsellos est le principal représentant. C'est en vue d'ouvrir plus largement aux lettrés les grandes carrières administratives que Constantin IX réorganise une fois de plus l'Université, dont il confie la direction à Michel Psellos, avec le titre de «consul des philosophes». À côté de l'Université fonctionne l'école patriarcale, qui forme les futurs cadres de la hiérarchie ecclésiastique aux études profanes avant de leur dispenser un enseignement proprement religieux.

Un nouvel humanisme

La littérature de ce temps a donc pour base une culture générale plus profonde et mieux équilibrée, plus directement reliée aux sources antiques que celle du siècle précédent: c'est le début d'un nouvel humanisme, que favorisent encore au XIe siècle les rapports multipliés avec l'Occident latin. Sous les Comnènes, pourtant issus de la noblesse militaire, la Cour deviendra, non plus un foyer d'érudition comme sous Constantin VII, mais celui d'une culture plus créatrice et plus artiste qu'à l'époque macédonienne. La différence se mesure bien au style des écrivains de l'une et l'autre période: au lieu de chercher à prouver son savoir par une langue très travaillée et chargée de termes rares, on cherche à se conformer au canon d'un atticisme rénové. En ce faisant, d'ailleurs, on s'éloigne encore davantage de la langue parlée, ce qui correspond à la tendance fortement aristocratique de la société des Comnènes.
Le début de cette époque est dominé par la puissante personnalité de MichelPsellos (1018-1078), petit bourgeois parvenu aux plus hautes charges, érudit universel dans la grande tradition des lettrés byzantins, mais surtout passionné de rhétorique et de beau style: c'est lui qui, par l'étude appronfondie de Platon et des orateurs de toutes les époques, a mis au point une nouvelle prose d'art, au rythme réglé par des lois sévères, au vocabulaire extrêmement riche, qui s'affinera encore sous les Comnènes. Psellos est aussi à l'origine de la renaissance de la philosophie byzantine, et particulièrement du platonisme, car il rêva d'unifier l'ensemble des connaissances humaines en un schéma platonicien, en se servant d'ailleurs de la logique d'Aristote, qui profita donc lui aussi de ce renouveau philosophique. Le mouvement s'amplifia au XIe siècle avec des platoniciens comme Jean Italos, MichelItalikos, SotérikosPanteugénos qui soutint le nominalisme, et des commentateurs d'Aristote comme Michel d'Éphèse, Eustrate de Nicée, qui fut traduit en latin. Les efforts de cette école pour donner au dogme une interprétation rationnelle ont contribué à la naissance de la scolastique occidentale, mais à Byzance ils furent mal vus du clergé et des Comnènes eux-mêmes, qui avaient besoin de l'appui de l'Église. Jean Italos et Eustrate furent condamnés pour hérésie.
Il n'en existe pas moins, dans l'Église d'alors, un courant très favorable à la culture profane, surtout chez les hauts prélats: tels le patriarche Jean Xiphilin (1010 env.-1075 env.) qui appliqua la philosophie à l'étude du droit et dont les travaux ont eu une grande influence sur l'école de Bologne, les archevêques Théophylacte d'Achrida (mort vers 1108), Eustathe de Thessalonique (mort vers 1198), bien connu pour ses commentaires des auteurs classiques, ou Michel Acominate (1140-1220). Le monde monastique, lui, continue à se cantonner dans la théologie mystique, dont les principaux maîtres sont alors le Stoudite Nicétas Stéthatos (1000 env.-après 1050), disciple et biographe de Syméon le Nouveau Théologien, et, au XIIe siècle, Callistos Cataphygiotis, déjà proche de l'hésychasme.
La renaissance de l' atticisme au XIe siècle ainsi que la vie de cour fort brillante sous les Comnènes font fleurir plus que jamais les divertissements de lettrés et aussi l'éloquence d'apparat; Psellos excella notamment dans l'oraison funèbre. La mode est aux discours fictifs, comme l'Éloge du chien de Nicéphore Basilakis (XIIe s.) ou la Prosopopée de Michel Acominate, qui est un procès entre l'âme et le corps devant un tribunal d'ascètes. On se s'étonnera pas de voir en honneur l'épigramme, la poésie didactique ou de circonstance avec Constantin Stilbès (XIe-XIIes.) voire l'épopée pseudo-homérique avec les Antehomerica Homerica et Posthomerica de Jean Tzétzès (1120 env.-1180 env.), curieux personnage de poète famélique qui fut aussi un philologue d'une prodigieuse éruditon. C'est aussi le divertissement d'un érudit, mais non d'un homme d'esprit, que le roman anonyme de Timarion (milieu du XIe s.), pastiche ou plutôt caricature de Lucien.

De grands historiens

Le genre historique n'a jamais eu plus d'éclat que sous les derniers Macédoniens et les Comnènes; il est presque toujous cultivé par de hauts personnages ou des gens qui ont vu de très près les événements tel Michel Attaliate, qui écrit l'Histoire des années 1034-1079 dans un style fleuri et pompeux qui sent encore le siècle de Constantin VII. Avant lui, MichelPsellos avait écrit vers 1060 une Chronographie d'une grande valeur littéraire, remarquable par le choix qu'il a su faire des événements essentiels, la pénétration psychologique et l'art des portraits. Nicéphore Bryennios (1062 env.-1138), gendre d'Alexis Ier, a laissé une Histoire inachevée des années 1070-1074, très bien informée, dans un style sec consciemment imité de Xénophon. Sa femme, Anne Comnène est le meilleur historien du XIIe siècle (1083-1148), avec son Alexiade, oeuvre empreinte d'une piété familiale exemplaire. Son récit a été continué par deux anciens secrétaires impériaux: Jean Kinnamos (1143 env.-après 1183) dont l'Epitomê du règne de Manuel Ier s'intéresse un peu trop exclusivement aux événements militaires, et Nicétas Choniatès (mort en 1210), historien profond, objectif, capable de grandes vues d'ensemble et assez porté au style oratoire.
La chronographie, en tant que genre distinct de l'histoire, ne dépasse pas le siècle des Comnènes. Elle n'est d'ailleurs plus le monopole des moines: Jean Skylitzès (mort à la fin du XIe s.), qui continue Théophane à partir de 811, est un haut fonctionnaire. On essaie aussi de varier le genre avant de l'abandonner définitivement. Jean Zonaras (mort en 1050) donne à son Epitomê l'ampleur d'une histoire universelle. Michel Glykas (XIIe s.) truffe sa Chronographie de digressions sur la théologie ou l'histoire naturelle. Constantin Manassès (première moitié du XIIe s.) rédige la sienne en vers politiques (vers de quinze syllabes), ce qui lui assure d'emblée un grand succès populaire; il a même été traduit en slave.

La littérature populaire

C'est en effet vers le XIe siècle que la littérature populaire naissante trouve son instrument d'expression dans un vers de quinze syllabes dont le rythme est fondé sur le retour d'un accent tonique (comme dans l'ancienne poésie du kontakion), donc conforme à l'état de la langue parlée. On le trouve employé dans des contes fantastiques empruntés aux folklores orientaux, comme Syntipas qui est le Sindbad des Mille et Une Nuits ou le Stéphanitès et Ichnélatès qui est d'origine bouddhique. Ce vers est celui de l'«épopée» byzantine, celui aussi de la satire illustrée par Théodore Prodromos (1115-1166).
Qu'en fut-il d'un autre genre populaire, dont il ne nous est rien parvenu: le théâtre? Nous n'en savons rien. Il a existé à Byzance un théâtre de mimes, fort licencieux («mime» est le nom couramment donné aux prostituées) et fort réprouvé des prédicateurs, et un embryon de théâtre religieux dont on a conservé quelques traces. Le seul ouvrage dramatique qui nous ait été transmis est le Christ souffrant, en vers iambiques, qui met en scène la Passion, avec des réminiscences de Romanos. Longtemps attribué à saint Grégoire de Nazianze, il est reconnu aujourd'hui comme un ouvrage du Xe-XIe siècle.

Une période de transition (1204-1282)

L'intermède réparateur que constitue l'Empire de Nicée n'a pas été nuisible aux lettres byzantines. À peine installés, les Lascaris se préoccupèrent de reconstituer l'Université dispersée, les bibliothèques pillées, non seulement dans leur capitale, mais aussi en province: une certaine décentralisation caractérise donc leur politique culturelle, à l'inverse des empereurs de Byzance.
En ce siècle de transition, les lettrés réfugiés à Nicée y apportent le goût néo-attique des Comnènes, leur passion de rhétorique, leur conception très évoluée de l'histoire; chez les moines, l'évolution de la mystique vers l'hésychasme s'accentue. Mais on voit aussi paraître des éléments nouveaux qui annoncent l'âge des Paléologues et notamment un renouveau d'intérêt pour les sciences exactes et les sciences de la nature. La controverse avec les Latins fait renaître la théologie, qui prend un caractère nationaliste marqué, laissant le champ libre à de plus hardies spéculations néo-platoniciennes.
Comme aux siècles précédents, l'orientation littéraire est donnée par l'influence de grands érudits polygraphes. Deux sont particulièrement importants. Le premier est Nicéphore Blemmydès (1197-1272), moine et précepteur de Théodore II, dont il chercha à faire un philosophe couronné sur le modèle qu'il propose dans sa Statue royale. Il s'occupa de promouvoir les études aristotéliciennes, entre autres par sa Physique abrégée qui servit de manuel de base même en Occident. Son élève, l'empereur Théodore II (1222-1258), a été le plus cultivé des empereurs grecs, à la fois philosophe, mathématicien, humaniste, avec une touche de romantisme que révèle sa correspondance. Il est d'ailleurs mal connu, car son oeuvre est en grande partie inédite.
L'Empire de Nicée a eu son historien, le grand logothète Georges Acropolite (1217-1282) très bien informé et d'un réalisme politique qui le porta à travailler pour l'union avec Rome. En cela, il s'opposait à des prélats humanistes comme Jean Apokavkos (mort vers 1230) ou Georges Bardanès. Dans le domaine plus proprement littéraire, la poésie d'inspiration et de forme populaire gagne du terrain, par exemple avec Nicolas Irénikos, auteur d'un Épithalame sur le mariage de JeanIII, et avec les premiers romans de chevalerie, dont l'apparition coïncide avec l'occupation franque. Quelles que soient les influences, très controversées, qu'exerce sur ce genre nouveau le roman occidental, l'élément merveilleux y prédomine d'une manière bien orientale sur l'élément héroïque. À cet égard, le roman anonyme de Belthandros et Chry-santza est particulièrement intéressant.

La dernière renaissance (1282-1453)

On pourrait s'attendre à ce qu'à la lente décomposition de l'État byzantin à partir de la mort de Michel VIII (1282) corresponde une décadence intellectuelle. Il n'en est rien. En réalité, la haute culture qui est de tradition dans la dynastie des Paléologues, la nouvelle Université réorganisée par Manuel II et qui attirera les étudiants italiens, le prestige du patriarcat et de son école, une décentralisation imposée par le morcellement du domaine byzantin et qui fera de Thessalonique et surtout de Mistra des centres de culture, le grand mouvement spirituel de l'hésychasme enfin, tout cela contribue à maintenir la vitalité des lettres byzantines; et plus encore, peut-être, les contacts plus fréquents avec l'Occident et l'épanouissement d'un esprit de liberté grâce à la disparition de la contrainte exercée par un État puissant.

Un esprit de liberté

L'impulsion est donnée dès le début de cette période par une génération de grands professeurs et de hauts fonctionnaires - souvent les deux à la fois - tels que Georges Pachymère (1242 env.-1310 env.), qui compila Aristote dans sa Philosophie et, dans ses Récits historiques, continua Georges Acropolite dans un sens antilatin; le grand philologue Maxime Planude (1260 env.-1310 env.), l'éditeur de l'Anthologie palatine, qui fit connaître aux Grecs saint Augustin et peut-être saint Thomas; Nicéphore Choumnos (1255 env.-1327), philosophe éclectique qui chercha à concilier la physique et la cosmologie des Anciens avec la doctrine chrétienne; et surtout le grand logothète Théodore Métochite (1269-1332), savant curieux de tout, dont l'oeuvre très vaste est en grande partie inédite. Il est connu d'abord comme restaurateur de l'astronomie (Introduction à la science astronomique); mais il fut aussi un poète assez personnel. Son disciple Nicéphore Grégoras (1295-1360), adversaire malheureux de l'hésychasme, fut aussi un homme de grand savoir et un astronome, qui préconisa avec deux siècles d'avance la réforme du calendrier (De la date de Pâques); Grégoras, en plus, est historien. Son Histoire romaine en trente-sept livres, désordonnée mais de vaste conception, est importante pour l'histoire de l'hésychasme. Toute cette école est divisée par une querelle de rhéteurs - c'est l'époque où la rhétorique envahit tout - entre les tenants de l'atticisme (ou de ce qu'on prend alors pour l'atticisme) et de l'imitation des Anciens, tels que Choumnos, et les «Modernes» comme Métochite, dont la manière, semble-t-il, était plus exubérante et passionnée.
L'influence de ces grands lettrés, au XIVe siècle, est plus heureuse dans le domaine scientifique que dans le domaine littéraire. Les ouvrages qui ont le plus d'intérêt à ce dernier point de vue sont, en poésie, les Hymnes à la Mère de Dieu, de Nicéphore Callistos Xanthopoulos (mort vers 1350), connu aussi comme historien ecclésiastique; en prose, l'Histoire de l'ex-empereur JeanVI Cantacuzène (1292 env.-1383 env.), dont la relative simplicité de style est rare pour l'époque. Le mouvement scientifique est représenté par des philologues comme Thomas Magister, des astronomes comme Théodore Méliténiote, des médecins: au XIIIe siècle Nicolas le Myrepse, dont le traité Des médicaments servit de codex à Paris jusqu'au XVIIIe siècle; au XIVe, Jean l'Actuaire, précurseur de la psychiatrie (Sur les effets normaux de l'esprit animal et sur son comportement).

Un dernier éclat

L'histoire religieuse du XIVe siècle est, comme on le sait, dominée par le mouvement hésychaste, qui appartient à l'histoire ecclésiastique plutôt qu'à l'histoire littéraire. On notera cependant que la querelle soulevée par cette doctrine, purement mystique et monastique à l'origine, eut de profonds échos dans le monde intellectuel comme dans le monde politique: au grand théologien de l'hésychasme, Grégoire Palamas (1296 env.-1360 env.), s'opposèrent non seulement des théologiens officiels comme Manuel Calécas, mais des humanistes comme Nicéphore Grégoras; d'autre part, un autre grand humaniste, Nicolas Cabasilas (mort en 1371), soutint l'hésychasme avant de le dépasser en un mysticisme platonisant qu'il voulait compatible avec la vie séculière (Les Sept Paroles de la vie dans le Christ).
Au début du XVe siècle, l' Université de Manuel II, où l'enseignement a désormais un caractère humaniste, jette un dernier éclat; mais le principal centre intellectuel grec est Mistra, où enseigne Georges Gémiste Pléthon (mort vers 1451), le philosophe le plus hardi que Byzance ait connu. Ce platonicien radical conçut le curieux projet de reconstituer autour du despotat de Morée un État grec dont il prétendait exclure la tradition romaine et la tradition chrétienne, en lui donnant une organisation sociale à la fois communautaire et hiérarchisée comme celle de la République de Platon, et une religion polythéiste. Ses attaques contre Aristote déterminèrent une abondante controverse, à laquelle prirent part notamment le futur patriarche Georges Scholarios (mort en 1468), un des meilleurs spécialistes byzantins d'Aristote, qui connut même fort bien la scolastique latine, et le futur cardinal Jean Bessarion (1390 env.-1472), élève de Pléthon, platonicien tolérant qui essaya de prouver que les deux systèmes étaient complémentaires.
Les derniers historiens de Byzance sont contemporains de sa fin tragique. Deux d'entre eux l'ont racontée en patriotes: ce sont Doukas (Chronique des années 1341-1462) et Georges Phrantzès (1401-1478), ancien secrétaire de Manuel II (Chronique des années 1413-1477); tous deux, surtout le premier, écrivent dans une langue proche de la langue parlée. Laonicos Chalcocondyle, au contraire, prend pour centre de son Histoire des années 1298-1463 le peuple turc, et Critoboulos d'Imbros, en son Histoire de Mahomet II, se fait l'historiographe du vainqueur; tous deux - chose sans doute significative - écrivent dans une langue archaïsante.
La littérature romanesque en langue vulgaire semble - pour autant du moins qu'on en puisse dater les productions - abondante au XIVe et au XVe siècle. Dans le roman de Callimaque et Chrysorrhoé, écrit entre 1310 et 1340 par un neveu de Michel VIII, Andronic Paléologue, on retrouve les thèmes plutôt érotiques qu'héroïques des premiers romans byzantins; mais, en général, l'influence occidentale se fait de plus en plus sentir dans les oeuvres de ce genre. Ainsi l'auteur de Phlorios et Platziaphlora ne fait qu'adapter la version toscane de Flore et Blanchefleur (fin du XIVe s.), et celui de l'Achilléide (début du XVe s.) connaît les romans de la Table ronde. Même le thème du Roman de Bélisaire est venu d'Occident. Il faut enfin signaler, à mi-chemin entre l'histoire et la chanson de geste, une chronique en vers politiques, sans valeur littéraire du reste, la Chronique de Morée, récit de la conquête franque du Péloponnèse et de la vie de la principauté jusqu'en 1292; elle a été rédigée par un «gasmoul», demi-franc et demi-grec.

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